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vieux en parlant de ce qu’ils possèdent revient sans cesse sur leurs lèvres. Bien entendu, le vieux temps ne remonte pas pour eux plus loin que les XVIIe et XVIIIe siècles, et a laissé fort peu de monumens dignes de ce nom ; mais, à leur défaut, Boston met en œuvre des procédés ingénieux pour entretenir et renouveler chez ses enfans l’orgueil du patriotisme. Cette année même encore, dans la nuit du 18 au 19 avril, avait lieu une fête émouvante, commémorative de la glorieuse chevauchée de Paul Révère, l’événement qui précéda la journée de Lexington, où les miliciens et les fermiers du Massachusetts eurent raison de l’armée anglaise. Des signaux s’allumèrent un soir de printemps au nord de la ville, dans le petit clocher de Christ Church, les mêmes qui en 1775 avertirent le pays de la marche des troupes anglaises sur Concord ; et un cavalier, portant le costume de l’époque, fit au galop les six milles que parcourut Paul Révère, en appelant aux armes les fermiers endormis qui répondaient comme jadis. L’unique différence fut que cette fois leurs hourras s’entremêlèrent de fusées d’artifice. Et lorsque les cloches longtemps muettes de la petite église du nord se mirent à sonner, toutes les cloches des alentours leur répondirent en chœur.

De pareilles scènes sont de nature à impressionner les plus ignorans, les plus insensibles, et développent chez les autres une exaltation généreuse. On comprend, en habitant Boston, en se pénétrant de son esprit, l’espèce de rancune que l’Angleterre garde toujours à la colonie qui lui échappa, rancune qui se traduit par un dénigrement systématique de tout ce qui est américain. Voilà une ville par exemple où les Anglais retrouvent précieusement conservées les traces de leurs défaites, et où subsistent en même temps les traces non moins sensibles de leur influence morale, intellectuelle et littéraire, une ville proche parente et ennemie à la fois dont chaque pierre rappelle une de ces brouilles de famille qui de toutes sont les plus vivaces. Évidemment il est beaucoup moins facile de lui rendre justice que de louer avec une dédaigneuse indulgence Chicago et ses progrès de nouveau-né géant ; sans compter que la Grande-Bretagne ne serait pas fâchée de pouvoir revendiquer un penseur comme Emerson, un romancier comme Hawthorne, qui sont purement bostoniens, tout en ayant ajouté des chefs-d’œuvre à la littérature anglaise.

Lorqu’on songe à la longue liste d’esprits distingués que produisit Boston, il est impossible de ne pas l’excuser d’être devenu, par l’excès même de ses belles qualités d’enthousiasme ! et de vénération, quelque chose comme une grande société d’admiration mutuelle. Quant à moi, je ne pourrais pas plus m’étonner des