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chez lui est la mâchoire massive et saillante, la bouche surtout, qui dénote une volonté de fer. Par la conformation de sa tête il rappelle le bouledogue, moins l’humeur joviale et placide que ceux qui ont étudié et fréquenté cet intéressant animal prétendent discerner dans son regard ; M. Crocker parle peu ; il est sagace, et l’une de ses ambitions est de passer pour un « gentleman ». En ce moment il n’occupe aucune fonction, mais il gouverne New-York en monarque absolu. Bien qu’on ne lui connaisse aucune ressource avouée, il vit on nabab. Il s’est fait construire un véritable palais à Heidelberg ; il possède à New-York une somptueuse résidence et dépense chaque année des sommes énormes pour son écurie de courses. D’où lui viennent ce pouvoir et cet argent ? Comment cet homme est-il aujourd’hui un autocrate et un millionnaire ? La réponse est simple : M. Richard Crocker est le Boss de Tammany-Hall. »


II

Dans la quatorzième rue de New-York, presque à l’angle de sa jonction avec la troisième avenue, s’élève l’édifice connu sous le nom de Tammany-Hall. Dans les premiers jours de mai 1789 et de l’installation de George Washington comme président des États-Unis, alors que New-York comptait à peine, 30 000 habitans, quelques patriotes ardens jetèrent les bases d’une association dénommée « Société de Tammany-Hall et de l’ordre colombien ». Le nom de « Tammany » était celui d’un chef indien, dont les exploits, passés à l’état de légende, avaient vivement impressionné les premiers colons. Toujours simpliste, la foule s’en tint à l’appellation la plus brève et la plus caractéristique ; c’est ainsi que la société de Tammany et de l’ordre colombien devint « Tammany-Hall », qu’en langage vulgaire les initiés désignent souvent du nom de Wigwam, par allusion aux tentes des chefs indiens. Le but que se proposaient les fondateurs de l’association était de perpétuer les souvenirs de la guerre de l’Indépendance, de célébrer dignement les anniversaires nationaux, d’aviver le patriotisme et d’entretenir la foi dans les institutions de la république naissante. Trop vaste pour le nombre des adhérens, l’édifice qu’ils construisirent était aussi trop onéreux pour leur budget. Ils en louèrent donc une partie au « Comité général démocratique républicain de la cité de New-York », lequel y établit son quartier général, absorbant peu à peu la plus grande partie du bâtiment, absorbant aussi la plupart des membres de la société de Tammany, s’appropriant jusqu’au nom, et aujourd’hui seul connu sous le nom de Tammany-Hall.