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collections. Il désirait aussi avoir des moulages des statues antiques les plus célèbres, et il n’avait pas renoncé au projet, déjà caressé par Philippe III, d’établir à Madrid une Académie des beaux-arts. Velazquez, nommé dès le mois de mars 1647 inspecteur et trésorier du service des bâtimens, avait présidé lui-même à l’appropriation de la salle octogone : il était donc tout désigné par son goût et la sûreté de son caractère pour diriger les acquisitions nouvelles que le roi songeait à faire en Italie. Chargé à cet effet d’une mission spéciale, un peu retardée par la pénurie absolue du trésor, il s’embarquait à Malaga le 2 janvier 1649.

C’était alors chose délicate que d’acquérir des œuvres d’art. À mesure que les amateurs étaient devenus plus nombreux, les occasions s’étaient faites plus rares. Il fallait, tout en payant comptant, déployer beaucoup de diplomatie et de zèle pour profiter de ces occasions ; il fallait aussi être assez connaisseur pour dépister les copies très habiles qui circulaient comme originaux. Venise était à ce moment le grand marché de la curiosité ; c’est là d’ailleurs que Velazquez se sentait attiré par sa prédilection pour les peintres de cette école. Un auteur du temps, Marco Boschini, qui vit alors l’artiste, vante la dignité de ses manières et l’agrément de sa personne. Dans un dialogue supposé par lui entre Salvator Rosa et Velazquez, ce dernier, interrogé sur ses préférences artistiques, répond à son interlocuteur : « À parler avec une entière franchise, je dois vous avouer que Raphaël ne me plaît aucunement. » Sur ce, Salvator lui répliquant : « Il n’y aurait donc personne en Italie à qui nous puissions donner la couronne ? » Don Diego repartit : « C’est à Venise que l’on trouve le bon et le beau ; c’est là que sont les maîtres du pinceau, et c’est Titien qui porte l’étendard[1]. » Pour ce qui touche l’opinion de Velazquez sur Raphaël, ce propos, en admettant qu’il s’appuie sur quelque renseignement positif, a probablement été un peu exagéré pour les besoins de la cause, Boschini ayant en vue la glorification de Venise, et il ne faut, sans doute, y voir qu’une indication des préférences d’ailleurs très naturelles que le maître espagnol devait avoir pour les grands coloristes vers lesquels le portait son propre tempérament.

De Venise, où il n’avait pu acheter que quelques tableaux de Tintoret et de Paul Véronèse, — entre autres une Vénus et Adonis de ce dernier, — Velazquez, en passant par Rome, se rendit à Naples pour y présenter ses lettres de recommandation au vice-roi, qui

  1. Ce dialogue est extrait d’un poème de Boschini écrit en dialecte vénitien : La Carta del navegar pittoresco. Venise, 1660.