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Afrique. Il vaut mieux en étudier une avec soin, qui nous fera connaître les autres. Si je choisis Timgad, ce n’est certes pas à cause de son importance ou de sa réputation, elle ne paraît avoir joué aucun rôle dans les événemens politiques ; à l’exception d’un ou deux historiens, qui la mentionnent en passant, les autres n’en disent rien. Il n’est pas probable qu’elle fut très peuplée ; il est certain qu’elle n’avait qu’une médiocre étendue ; c’est pourtant celle dont il nous reste le plus de ruines, et, dans l’ensemble, les ruines les mieux conservées. Elle le doit sans doute à la façon dont elle a péri. Procope raconte qu’à l’approche des Byzantins, les montagnards de l’Aurès, qui ne voulaient pas les voir se fixer dans leur voisinage, détruisirent Timgad pour les empêcher de s’y établir[1]. Les Byzantins y sont pourtant venus, et même ils y ont assez demeuré pour avoir le temps d’y construire une très solide forteresse et une église. Mais il est probable que la ville, qu’on avait détruite, ne fut pas relevée ; les propriétaires des maisons renversées ne revinrent pas les occuper de nouveau et quand à son tour la garnison byzantine fut partie, il ne resta pas dans la contrée d’autres habitans que les indigènes cachés dans leurs montagnes. Le pays étant devenu désert, personne n’éprouva le besoin d’aller prendre les pierres des anciennes maisons pour en bâtir d’autres. Elles sont donc restées à leur place, et il suffit d’enlever la terre qui les couvre pour les retrouver. La Commission des monumens historiques a donc été très bien inspirée en consacrant, pendant plusieurs années, toutes les ressources dont elle dispose à déblayer Timgad. Ce travail, fort habilement conduit[2], est assez avancé pour que nous puissions dès à présent en étudier les résultats avec profit. Non seulement la plupart des monumens principaux nous sont rendus, mais on a découvert, dans les décombres, beaucoup d’inscriptions curieuses qui nous renseignent sur ceux qui les ont construits et qui les fréquentaient. Une visite à Timgad nous apprendra comment se passait la vie dans une ville de l’Afrique romaine du temps des Antonins ou des Sévères.

  1. Il est vraisemblable que le feu fut employé pour activer la destruction. Bruce, qui visita les ruines de Timgad au milieu du siècle dernier, trouva de gros blocs de marbre calciné dans le temple de Jupiter.
  2. Les fouilles ont été commencées par un architecte très distingué, M. Duthoit, aidé par MM. Milvoy et Sarrazin ; elles sont confiées aujourd’hui à M. Roger Ballu. MM. Bœswihvald et Cagnat ont entrepris de publier les croquis et les dessins de ceux qui y ont travaillé avec une description détaillée de la ville et de ses monumens. Cette publication formera un ouvrage magnifique, dont trois livraisons ont déjà paru (Timgad, une cité africaine sous l’empire romain, Paris, Leroux). Je m’aiderai beaucoup de cet excellent livre.