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Mais surtout ils en ont construit un très grand nombre de nouvelles ; de grandes villes se sont élevées où il n’y avait avant eux que des villages et même dans des endroits entièrement déserts. Seulement tout ne s’est pas fait en un jour. Il importe de le remarquer pour répondre à nos impatiens qui se plaignent que nos progrès ne soient pas assez rapides, et qui trouvent qu’après un demi-siècle d’occupation il nous reste encore trop à faire. On peut leur dire que les Romains allaient encore moins vite que nous. Carthage, relevée par les Gracques, ne sortit que très lentement de ses ruines ; Pomponius Mêla nous dit, à l’époque de Claude, « qu’elle est plus célèbre par les souvenirs du passé que par sa fortune présente » ; et il fallut bien des années encore pour qu’elle devînt la « merveille de l’univers », comme l’appelle Aurélius Victor. Pline l’Ancien laisse entendre que, de son temps, il n’y avait guère en Afrique, à peu d’exceptions près, que des castella, c’est-à-dire des postes fortifiés. C’est surtout avec les Antonins, dans cette prospérité admirable de l’empire, que les villes deviennent plus nombreuses et plus florissantes. Il y a des pays où un hasard heureux nous permet de suivre, en quelque sorte, pas à pas, leurs progrès ; nous les voyons naître et croître presque sous nos yeux. À l’ouest de la province proconsulaire, dans une plaine fertile, non loin de la Medjerda, on rencontre les débris de plusieurs villes puissantes, qui semblent se serrer les unes contre les autres. Elles ont laissé de belles ruines qui attestent leur ancienne grandeur : c’est Thibursicum Bure (Teboursouk), Thignica (Aïn-Tounga), et surtout Thugga (Dougga) qui paraît avoir été la plus vaste et la plus belle de toutes. Les inscriptions, qui, par bonheur, ne manquent pas, nous montrent par quels degrés elles sont arrivées à cette prospérité. Ce sont d’abord de petits bourgs (vici) qui se forment par la réunion de quelques gens de campagne ; ils ont chacun leurs magistrats particuliers, et même quand il leur arrive de se rapprocher, de se rejoindre, ils conservent quelque temps leurs administrations séparées. Puis ces administrations s’unissent ; les petites bourgades constituent une cité (civitas), et la cité devient à son tour un municipe ou une colonie. À chaque évolution, les empereurs, pour la favoriser, accordent de nouveaux privilèges, et la ville, fière de leur protection, s’empresse d’ajouter leur nom au sien ; pour leur témoigner sa reconnaissance, elle est heureuse de s’appeler Aurélia, Antoniniana, Alexandriana. C’est sous la dynastie des Sévères que cette prospérité atteint son apogée. Comme ils étaient Africains d’origine, ils se plurent à combler leurs compatriotes de toutes sortes de faveurs.

On pense bien que je n’ai pas l’intention de m’occuper ici de toutes les villes romaines dont on a retrouvé quelques débris en