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Aix-la-Chapelle (dont le traité précipitamment conclu n’avait pas tenu compte) qui n’allaient à rien de moins qu’à la cession d’un district considérable ; plus une indemnité pour les pertes qu’il avait supportées pendant la guerre et qu’il évaluait à deux millions de livres. Marie-Thérèse se refusa nettement à cette double prétention qu’elle rejeta avec indignation. L’idée de venir après coup rouvrir les comptes de la guerre pour indemniser un de ses ennemis, lui parut, et non sans motif, insupportable. Mais le roi d’Angleterre, compromis par la publicité qu’il avait donnée à un projet mis en avant sous son patronage, et obligé de tout tenter pour le faire réussir, dut prendre parti pour la demande du Palatin, tout en convenant qu’elle était exagérée et en promettant de la faire réduire. Cette insistance acheva d’irriter l’impératrice et donna lieu, entre elle et un délégué spécial envoyé de Londres pour la circonstance, à des scènes très vives qui rappelaient celles dont la conclusion de la paix avait été l’occasion. Ainsi un dessein, formé pour réchauffer l’affection par la reconnaissance, aboutit à faire naître entre les deux souverains un nouveau sujet d’aigreur et de ressentiment[1].

Mais ce qui fut plus remarquable encore et plus inattendu, c’est que ce dessein manqué, qui réussissait si mal à ramener Marie-Thérèse du côté de celui qui l’avait formé, fut au contraire pour elle une occasion nouvelle de rechercher la confiance de l’ambassadeur de France. Il avait bien fallu entretenir la France du projet d’élection auquel son opposition formelle aurait pu créer un obstacle difficile à vaincre. Mais toutes les fois qu’elle fut amenée à toucher ce sujet avec Hautefort, la princesse, au lieu de se montrer pressée d’assurer la grandeur de son fils, ne sembla songer qu’à faire part de ses griefs et parade de sa modération : « Croiriez-vous, lui dit-elle à plusieurs reprises et avec une insistance passionnée, que c’est l’Angleterre qui m’a embarquée dans cette entreprise sans m’en prévenir » ; et voyant quelque marque d’incrédulité sur le visage de son interlocuteur, « Non, vous ne le croirez pas, parce que cela n’est pas croyable : pourtant les choses se sont bien passées comme je vous le dis. Mais jamais, ajoutait-elle, je n’achèterai ce que je puis attendre, le pis aller est de rester comme nous sommes ! où est le mal ? » — Et ses ministres, témoins de son irritation, ne croyaient pas en devoir faire plus qu’elle mystère à l’ambassadeur. L’Angleterre, disait à Hautefort le froid et solennel Uhlfeld lui-même sortant d’un entretien avec l’envoyé anglais, n’a pas le droit de nous parler

  1. D’Arneth, t. IV, p. 290-292. — C’est avec le ministre d’Angleterre à Pétersbourg, lord Hyndfort, passant par Vienne, que les discussions les plus vives eurent lieu au sujet des prétentions de l’électeur palatin.