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ombrage à personne, « afin de convaincre la maison de Bourbon de ses sentimens pacifiques… d’être très attentif à persuader à la France, par tous les moyens combinables avec la bonne foi due aux alliés et à notre dignité, qu’on ne garde aucune rancune du passé. »

Il ne semble pas que Londres fût naturellement le théâtre à choisir pour engager un agent autrichien à ménager la susceptibilité et même à rechercher la bienveillance de la France[1].

Rien ne pouvait moins convenir au roi George qu’un relâchement trop visible de l’ancienne alliance qui l’unissait à l’Autriche, car rien n’était plus propre à faire éclater le désaccord que Kaunitz avait si justement signalé entre le souverain et la nation britanniques : l’un attaché avec une obstination sénile à ses vieilles habitudes, à ses prédilections et à ses inimitiés de jeunesse, l’autre de plus en plus fatiguée de donner son sang et son argent pour des querelles de famille royale et de voisinage allemand. Ce dissentiment se prononçait chaque jour davantage et l’effet en était sensible même dans le sein du ministère, où des deux frères collègues, l’un, l’aîné, le duc de Newcastle, s’associait à toutes les passions du roi, tandis que le cadet, Pelham, chargé de traiter avec le Parlement, partageait les hésitations et les répugnances populaires. Si l’alliance autrichienne, déjà contestée au dedans, venait à manquer par le dehors, c’en était fait des préférences de la politique royale. Aussi le parti fut-il pris de tout faire pour calmer l’humeur irritable de l’impératrice. Elle réclamait la somme (très forte pour le temps) de cent mille livres sterling, comme solde des subsides qui lui étaient dus pendant la guerre. Bien que rien ne justifiât cette prétention, on se décida à demander la subvention au Parlement, qui fit de grandes difficultés pour l’accorder. La princesse reçut la nouvelle de cette largesse avec une bonne grâce un peu hautaine et même railleuse. « Ce n’est pas tant l’argent qui me touche, dit-elle au ministre Keith, que la preuve d’amitié du roi et l’espérance que nous voilà remis sur un tel pied que je n’ai plus à l’avenir à craindre d’être encore grondée. Après tout, je suis sa plus vieille amie, et je mérite d’être traitée avec autant de confiance que les nouveaux. » Keith répondit assez spirituellement qu’il ne savait trop de quels nouveaux amis elle entendait parler, mais qu’il se félicitait de voir qu’elle était jalouse parce que la jalousie était une preuve d’affection. — « Je suis jalouse, en effet, répondit-elle, et je ne le nie pas, mais

  1. Keith au duc de Newcastle, 6 novembre 1748 (Record Office). — D’Arneth, t. IV, p. 536.