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calquée sur celle qui l’avait partagée dans les luttes précédentes : d’un côté, la France appuyée sur les puissances germaniques secondaires dont l’indépendance avait été placée sous sa garantie par le traité de Westphalie ; l’Autriche, de l’autre, secondée par l’Angleterre et par la Hollande. mêmes combattans et souvent mêmes champs de bataille. Villars et Marlborough eussent été rappelés sur la terre qu’ils auraient reconnu et pu reprendre toutes leurs positions. Qu’était-il résulté cependant de cette répétition d’un drame, tant de fois joué, avec des dénouemens divers ? De stériles combats aboutissant à une paix qui ne contentait personne. Aucun des signataires du traité n’était parti satisfait de son partage : ni la France qui ne tirait aucun fruit de ses victoires ; ni l’Angleterre forcée de restituer des conquêtes coloniales dont la possession momentanée avait excité sa convoitise sans la satisfaire ; ni l’Autriche que la dignité impériale reconquise ne consolait pas d’une mutilation soufferte dans sa propre chair ; ni même le premier auteur de la guerre, le roi de Prusse, le ravisseur de la Silésie, qui ne trouvait pas qu’une reconnaissance, péniblement obtenue et froidement donnée, suffit pour assurer entre ses mains la possession du fruit de son attentat. Mais ce qui était encore plus digne de remarque, c’est que, tous se croyant lésés, aucun ne s’en prenait ni à la mauvaise fortune, ni à la supériorité de son adversaire, mais bien à la défaillance et à l’infidélité de ses propres amis. C’était, entre alliés de la veille, un échange de récriminations amères, dont aucune n’était sans fondement. Si Louis reprochait à Frédéric de l’avoir deux fois abandonné en pleine campagne sans prendre souci de le prévenir, Frédéric pouvait répondre que, l’armée française manquant au rendez-vous donné en Allemagne, il avait dû penser à lui-même. Si Marie-Thérèse gémissait d’avoir eu à payer tous les frais de la guerre par le démembrement de ses plus belles provinces d’Allemagne et d’Italie : Pourquoi, pouvait repartir l’Angleterre, m’en avoir laissé porter tout le poids ? Pourquoi étais-je seule à Dettingen, à Fontenoy, pour défendre votre territoire, avec mes soldats ou avec les auxiliaires payés par mes subsides ?

Quand on en est là, entre compagnons d’armes, le lendemain de la bataille ; quand des griefs qui se répètent chaque jour sont des deux parts également motivés, c’est un indice certain que, ni sentimens ni intérêts ne s’accordant plus, l’alliance a fait son temps et que les anneaux usés sont prêts à se rompre. Or ce n’est pas seulement dans les affections de la vie privée que la lassitude d’une ancienne liaison qui a trop duré fait naître la pensée et inspire l’attrait de chercher une liaison nouvelle.