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LE
JOUR DE LA DÉCORATION[1]


I

Huit jours environ avant le 30 mai, trois amis, John Stover, Henry Merrill et Asa Brown se rencontrèrent par hasard un samedi soir dans le store, le magasin de Barton à Barlow Plains. Ils se permettaient une heure de paresse, après la semaine laborieuse. Le soleil était enfin sorti clair et brillant d’une période de longues pluies et tous les fermiers de Barlow s’étaient mis à planter. Il leur restait encore pas mal de labourage à faire, la saison étant fort en retard.

Ces trois hommes, d’âge moyen, étaient de vieux amis ; ils avaient été à l’école ensemble. Tout gamins la guerre les avait pris ; enrôlés dans la même compagnie, le même jour, ils avaient marché côte à côte. Puis vint la grande épreuve d’une grande

  1. On appelle ainsi en Amérique la fête commémorative des soldats tombés pendant la guerre, chaque ville se faisant un devoir annuel d’apporter des drapeaux et des fleurs sur la tombe de ses héros. Nous avons choisi ce petit récit dans le nouveau livre : A native of Winby and other tales (Houghton, Mifflin and Cie), que vient de publier Sarah Orne Jewett, pour montrer ce que peuvent être le sentiment militaire et la notion de la patrie dans un pays tel que les États-Unis. La vie des paysans de la Nouvelle-Angleterre est peinte ici d’une touche sobre, un peu grise, éminemment caractéristique du climat, des mœurs et de la race. L’émotion y palpite, intense autant que contenue. Il faut avoir visité le village du Maine que l’auteur peint sous le nom de Barlow Plains pour apprécier le scrupuleux réalisme de la description, la justesse de l’atmosphère et de l’accent (Voir le Roman de la Femme médecin dans la Revue du 1er  février 1889).