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canonique. Elle seule par sa hiérarchie et ses ordres religieux était présente partout, elle y était le défenseur de la paix ; enfin elle semblait de tous les pouvoirs humains le plus éclairé, le plus impartial, le moins corruptible. Et pourtant la tentative échoua ! les peuples se reconstituèrent, et le sentiment national, excité par les ambitions des princes, mais d’accord avec eux, repoussa, avec le magistère des souverains pontifes, l’unité.

La Renaissance entraînant le monde antique acheva d’opposer à l’idée du gouvernement par les forces morales le pontife du gouvernement par la force matérielle, et se fiant à cette force, chaque nation tour à tour eut des successeurs de César, des prétendans à l’Empire universel. Comme eux, tour à tour l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, enfin la France, tentèrent de faire l’unité parmi les hommes. Ces tentatives se sont poursuivies avec des forces chaque fois plus vastes, et des chefs qui, des Frédéric aux Charles-Quint et aux Napoléon, forment comme une ascension du génie. La fin commune a été la défaite, et la prépondérance du plus grand a été la plus courte. Enfin la Révolution française a voulu mettre au service de l’unité une puissance plus durable que la force, plus universelle que la foi, la raison ; et sous son influence s’accroît chaque jour la ressemblance des gouvernemens, des lois et des mœurs entre les hommes. Et pourtant, loin qu’une seule des familles humaines soit devenue indifférente à ses origines, jamais l’autonomie des races n’avait fait entendre des revendications aussi ardentes ; et les droits de l’homme ont eu pour conséquence immédiate les droits des nationalités.

Pour qui interroge l’histoire, non avec l’arrogant dessein de lui dicter des réponses, mais avec le désir de comprendre et d’accepter ses leçons, n’y a-t-il pas là matière à réfléchir ? Une diversité si tenace et qui a mis en échec toutes les puissances occupées à la détruire, ne serait-elle pas une des lois permanentes de l’ordre dans l’humanité ? N’est-il pas aussi facile de découvrir des raisons à cette loi que de se révolter contre elle ? Chaque race n’a-t-elle pas reçu en partage certaines aptitudes et certaines vertus où elle excelle et ne les aurait-elle pas reçues avec surabondance, afin d’en demeurer l’expression et la dispensatrice dans le monde ? Et s’il est vrai que chacune de ces aptitudes ou de ces vertus soit utile à tous les hommes, que chaque peuple en propageant les siennes serve tous les autres, le meilleur état de société n’est-il pas celui où toutes se peuvent le plus aisément répandre ? Or si les nations étaient détruites et tous les hommes assemblés en une société unique, cela n’empêcherait pas