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seule personne, comme le Saint-Siège est un, comme l’Église est une.


II

Longtemps avant qu’il y eût un Sacré-Collège, il y avait des cardinaux. Dès le Ve siècle, il est question de cardinaux dans l’Église romaine. Ce nom de cardinal marquait, dit Fleury, que le prêtre était attaché à son église comme une porte est engagée dans ses gonds (le mot cardinal vient du latin cardo, gond)[1]. Ainsi, les cardinaux étaient d’abord les prêtres immatriculés, presbyteri cardinati, les titulaires et les curés inamovibles des principales églises de Rome. Plus tard, ils furent considérés, suivant l’expression du pape Eugène IV, « comme les pivots sur lesquels repose le gouvernement de l’Église universelle »[2]. Mais tout d’abord, le mot Église ne se prenait point au sens abstrait : il ne s’agissait point de l’Église universelle : c’était, au sens concret, de telle ou telle église de Rome qu’un prêtre ou un diacre était cardinal, et, de là, l’usage qui s’est conservé, même après que l’institution eut acquis tout son développement, de rattacher, par les titres cardinalices, les cardinaux de l’Église universelle à telle ou telle église romaine. Maintenant encore, après qu’un cardinal a reçu le chapeau, un de ses premiers devoirs et de ses premiers soins est de prendre officiellement possession de son titre, c’est-à-dire de l’église dont il est titulaire ; dont il devient, même de loin, le curé, par une fiction qui a son fondement dans les réalités de l’histoire ; où sa charge l’attache, le scelle comme un gond, et sur la porte de laquelle il appose ses armes, auprès des armes pontificales. À partir de ce moment, il fait corps avec son église, et jadis il n’avait plus guère d’autre nom que le nom du saint sous l’invocation de qui cette église est placée. Ouvrez les écrivains italiens du XVe et du XVIe siècle ; lisez, par exemple, les lettres écrites par Machiavel en mission à la cour de Rome : vous trouverez, à chaque page, le cardinal de Saint-Georges, le cardinal de Saint-Théodore, le cardinal des Saints-Vite-et-Modeste, le cardinal de Saint-Pierre-aux-Liens, le cardinal de Sainte-Praxède, de leurs vrais noms, les cardinaux Sansoni-Riario, Sanseverino, Ascanio-Maria Sforza, Giuliano della Rovere, et Antoniotto Pallavicino. C’est tout à fait de la même manière qu’on disait chez nous M. de Paris, M. de

  1. Voy. Chéruel, Dictionnaire historique des Institutions, mœurs et coutumes de la France, au mot Cardinal.
  2. Lucius Lector. Le Conclave : origines, histoire, organisation, législation ancienne et moderne. Paris, Lethielleux, 1894, un fort vol. in-16.