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profonde pour la victime et une colère irritée contre le crime, qui donnaient à la manifestation un caractère à la fois touchant et vibrant. Enfin, la présence de M. Casimir-Perier à la tête du cortège avait été annoncée d’avance. Le nouveau président de la République montrait par cette première démarche sa confiance dans la population parisienne, à laquelle il s’abandonnait. Certes sa place était marquée derrière le cercueil de M. Carnot ; mais la manière dont il l’a occupée a produit partout une vive impression. Un chef de gouvernement en France n’a rempli que la moitié de sa tâche lorsqu’il a parlé à l’esprit du pays : il faut encore, et peut-être surtout, qu’il s’adresse à son imagination et à son cœur. La journée du 1er  juillet laissera de longs souvenirs. La dépouille mortelle de M. Carnot a été conduite de l’Élysée à Notre-Dame et de Notre-Dame au Panthéon. La France a montré une fois de plus qu’elle sait honorer les bons citoyens qui l’ont bien servie.

On se demandait quel serait le lendemain de cette imposante cérémonie. Des questions politiques assez complexes se présentaient aux esprits. Fallait-il conserver le ministère Dupuy ou en constituer un autre ? M. Dupuy avait remis sa démission et celle de ses collègues entre les mains de M. le président de la République. Cette démarche n’avait en elle-même aucun caractère définitif : elle est obligatoire pour les ministres, qui doivent laisser toute la liberté de ses choix à un nouveau président, mais elle ne l’est pas pour celui-ci, qui peut toujours accepter ou refuser les démissions qu’on lui remet. Que ferait M. Casimir-Perier ? On ne l’a pas su dès le premier moment. Il a vu plus particulièrement un de nos hommes politiques auquel son talent incontesté et le caractère qu’il a montré pendant les dernières circonstances avaient fait une place exceptionnelle : nous voulons parler de M. Burdeau. Il paraît certain que M. Casimir-Perier l’a pressenti au sujet d’un ministère dont il aurait été le chef. Quelles considérations ont-elles déterminé M. Burdeau à décliner cette offre, ou M. Casimir-Perier à ne pas y insister ? Probablement elles sont d’ordres divers.

M. Burdeau a été, depuis plusieurs années, un des travailleurs les plus acharnés de la Chambre, et dans ce labeur incessant, il a quelque peu surmené ses forces. Elles ne sont pas, en ce moment, au niveau de son courage et de son dévouement. Mais est-ce bien la considération principale qui a déterminé les résolutions finales, soit de M. Burdeau lui-même, soit de M. le président de la République ? D’autres encore ont dû entrer en ligne de compte. Les radicaux et les socialistes n’ont pas attendu que M. Casimir-Perier fût élu pour dénoncer ce que son pouvoir aurait certainement de personnel. Il est vrai qu’ils faisaient déjà le même reproche à l’infortuné M. Carnot : ils l’ont fait, le font ou le feront à tout président qui aura un sentiment élevé de ses devoirs. Partisans de la suppression de la présidence de la République, ils cher-