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REVUE LITTÉRAIRE

LES ÉCRIVAINS DU VINGTIÈME SIÈCLE[1]

On se demande souvent ce que sera la littérature dans le siècle qui va s’ouvrir. Même la littérature continuera-t-elle d’exister ? Ne sera-t-elle pas étouffée par le progrès des sciences ? ou ne va-t-elle pas succomber victime d’elle-même, fatiguée par son propre développement, épuisée par une production trop abondante ? Y aura-t-il encore des poètes pour bercer de leurs chants la vieille humanité ? Des penseurs et des artistes sauront-ils créer, pour des idées neuves, des symboles inédits ? Verra-t-on s’épanouir la flore d’esthétiques inconnues ? Tout a été dit, et, semble-t-il, sous toutes les formes. Y a-t-il espoir qu’on puisse trouver autre chose et trouver mieux ?… À toutes ces questions Il nous est enfin permis de répondre avec certitude. La littérature du vingtième siècle sera d’une richesse et d’un éclat extraordinaires. Ce n’est pas en vain qu’on parlait depuis quelque temps d’une « crise » ; et ceux-là avaient raison, qui s’obstinaient à voir dans la médiocrité même de la production actuelle le gage avant-coureur d’un renouveau prochain. Il en est des produits de l’intelligence comme de ceux de la terre : c’est après des périodes infertiles que les champs se couvrent des plus belles moissons. Nous nous attristions de voir la littérature languir et toutes les tentatives avorter. C’est un fait que les écrivons qui sont parvenus à la notoriété dans l’espace de ces derniers vingt ans sont notoires surtout par leur insuffisance. Cela nous désespérait. Et nous tous qui avons passé la trentaine, nous gémissions de constater notre néant. Il faut nous en réjouir au contraire. Nous avons été la génération sacrifiée. Qu’importe ? Et ne devons-nous pas plutôt nous applaudir d’avoir de cette façon servi aux fins de la nature ? Apparemment

  1. Portraits du prochain siècle, 1 vol. ; Edmond Girard.