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ces engrais, ne remontait que par l’addition au sol des matières organiques extraites par l’eau chaude du fumier de ferme.

Les cultivateurs ont remarqué depuis longtemps que lorsqu’une luzerne a occupé le sol pendant plusieurs années, elle s’affaiblit et les graminées l’envahissent ; si on la défriche, il est inutile d’essayer de semer de nouveau de la luzerne : elle germe, puis languit et disparaît. Il faut attendre pendant plusieurs années, quinze ou vingt ans, pour que la luzerne puisse être de nouveau semée avec quelque chance de durée. Quelquefois même, si sa culture a été maintenue longtemps, le sol reste incapable pendant de longues années de lui donner la vigueur qu’elle avait autrefois. Au sud de Paris, autour de Juvisy, s’étend une plaine excellente ; pendant trente ans, les fermiers s’y sont enrichis en y cultivant la luzerne. À cette époque, elle durait sept ou huit ans, fournissant de brillantes récoltes ; aujourd’hui, après deux ans, trois ans au plus, elle est envahie par les graminées : il faut la retourner.

Je me rappelle toujours que, visitant avec sir Henry Gilbert le domaine de Rothamsted, il m’arrêta devant une terre nue, tout à fait privée de végétation, et il me dit en souriant : « Voici le champ de culture continue du trèfle. Nous avons eu à l’origine des récoltes passables ; maintenant le trèfle ne peut plus venir sur cette pièce. » Mon savant ami me montra cependant une culture continue de trèfle qui avait réussi ; elle occupait une petite plate-bande du jardin voisin de la maison de sir J.-B. Lawes ; on y avait prodigué autrefois, comme le font les jardiniers, le fumier de ferme ; l’humus y était abondant, et depuis plus de vingt ans le trèfle y prospérait.

Nous voici renseignés, la plante ne vit que si elle trouve dans l’air : de l’acide carbonique ; dans le sol, à portée de ses racines, de l’eau et diverses matières que nous venons d’énumérer, et parmi lesquelles se placent au premier rang les composés azotés, l’humus, l’acide phosphorique, la potasse, la chaux : ce sont ces matières qui constituent les engrais. En les employant, nous augmentons la fertilité du sol, qui habituellement ne renferme pas ces divers principes en quantités suffisantes pour assurer l’alimentation de tous les individus de même espèce, que nous cultivons les uns à côté des autres. Sans doute, les terres que nous ensemençons ne sont pas tout à fait dépourvues des alimens végétaux, et si nous avions en France d’immenses étendues de terres à très bon marché, nous pourrions, comme on le fait dans l’Ouest américain, cultiver sans engrais ; nous produirions de huit à dix hectolitres de blé à l’hectare, rendement suffisant pour des terres de faible valeur, libres d’impôts, mais ruineux pour des sols surchargés