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La crise actuelle est due au bas prix des denrées agricoles ; pour les relever on a eu recours aux remaniemens des tarifs douaniers ; en frappant d’abord d’un droit de 5 francs chaque quintal de blé étranger qui pénètre en France, on a réussi à maintenir nos prix, de 5 francs supérieurs à ceux qui sont pratiqués en Angleterre, restée fidèle au libre-échange. Le système protectionniste, qui amène fatalement un malaise général en réduisant le chiffre des affaires, réussira-t-il à produire une hausse artificielle suffisante pour combattre l’avilissement des prix ? Cela paraît bien douteux, puisque la protection de 5 francs par quintal a été jugée insuffisante, et qu’après une longue discussion, le Parlement, pressé par ses électeurs ruraux, a élevé le droit de douane à 7 francs les 100 kilos. Quoi qu’il en soit, la science n’est pas responsable de ce bas prix des denrées agricoles ; elle offre même le seul remède qui puisse efficacement le combattre. Nous avons vu que le produit brut était obtenu par la multiplication de deux nombres : quantité de marchandise produite, prix de cette marchandise ; or si la science est incapable d’agir sur les prix du blé, elle enseigne à augmenter sa récolte, c’est là son rôle, et, si elle le remplit bien, la crise peut être conjurée. Supposons qu’un cultivateur de blé ne puisse avoir de bénéfice qu’autant que la vente de la récolte d’un hectare lui rapporte 600 francs : visiblement ces 600 francs peuvent être obtenus soit avec une faible récolte vendue cher, soit avec une bonne récolte vendue bon marché ; on fait 600 francs de produit brut avec 20 quintaux de blé à 30 francs ou 30 quintaux vendus 20 francs.

Si les cultivateurs, plus habiles qu’ils ne sont encore, élevaient les rendemens jusqu’à faire des bénéfices en vendant à bas prix, il en résulterait des bienfaits inestimables, puisque l’accroissement des alimens diminue le nombre des créatures humaines qui souffrent de la faim ou pâtissent par manque d’une nourriture suffisante. Les progrès réalisés sont déjà immenses : les châtaignes, les galettes de sarrasin, le pain noir, ont fait place sur presque toute notre France au pain de froment ; la viande, naguère inconnue au village, y est devenue commune ; on boit du vin ou du cidre là où l’on se contentait d’eau claire. Les progrès réalisés par la culture ont donc été considérables : peuvent-ils s’accentuer de nouveau ? est-il possible d’atteindre des rendemens assez élevés pour que l’agriculture soit prospère en vendant toutes les denrées nécessaires à la vie à des prix tels que ces denrées deviennent accessibles à ceux qui en sont encore privés ? Telle est la question que je veux aborder dans ces études.