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au joug sa femme avec son âne, surtout si elle est vieille. Ajoutons que la charrue à l’époque romaine, comme celle dont on se sert de nos jours, était d’une simplicité toute primitive. Le soc écorchait à peine le sol ; mais qu’importe ? la terre y est si naturellement fertile qu’elle n’a presque pas besoin d’être travaillée pour produire. Vienne, à l’entrée du printemps, une pluie favorable et la plaine sera jaune d’épis en quelques semaines. Puis, la moisson finie, quand les silos sont pleins, le laboureur charge la récolte sur son âne ou sur une méchante voiture et va la porter au marché.

Les Africains de cette époque fréquentaient beaucoup les marchés, ainsi que le font encore leurs descendans ; c’est un usage qui, comme tant d’autres, s’est conservé. Il n’en manquait pas, dans les villes, de commodes, d’élégans, de bien installés, dont les débris existent encore. Il y en avait aussi au milieu des champs, auprès des grands domaines, dans les endroits où les paysans des environs pouvaient se réunir. Les riches propriétaires, qui trouvaient leur intérêt à en établir chez eux, en demandaient la permission au Sénat, si la province était sénatoriale, ou au représentant du prince, si elle était impériale. Il existait à l’époque romaine, au pied des montagnes qui séparaient la Proconsulaire de la Numidie, et qui sont aujourd’hui la frontière de la régence de Tunis, à la hauteur de Tébessa, un domaine très important, qui s’appelait Saltus Beguensis (aujourd’hui El-Begar) : on y a trouvé, au milieu d’un champ, les restes encore visibles d’un grand portique qui entoure des débris moins considérables, dans lesquels on a reconnu des boutiques ruinées. C’était donc un marché, et celui qui l’a construit, L. Africanus, qui voulait faire savoir à tout le monde qu’il était en règle, a eu soin de reproduire deux fois le sénatus-consulte qui en autorisait l’établissement. Nous l’avons en deux exemplaires, avec la signature des témoins qui en affirment l’authenticité. Il y est dit « que L. Africanus, dans la province d’Afrique, sur le territoire de Begua, occupé par les Musulamiens, dans le lieu appelé Ad Casas, aura le droit détenir un marché deux fois par mois, le quatrième jour avant les nones et le douzième avant les calendes (le 2 et le 21 de chaque mois) ; que les gens d’alentour et les étrangers pourront s’y réunir, mais seulement pour vendre et pour acheter (on redoutait toujours les réunions politiques), et à la condition qu’ils ne commettront aucun acte illégal et ne feront de tort à personne. » Le propriétaire avait tout intérêt à attirer dans son marché les petits fermiers du voisinage et à faire de son domaine le centre d’un commerce important. Ces sortes de trafics profitent toujours au plus riche : comme sa fortune lui permet d’attendre et qu’il peut garder sa récolte dans ses