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Champs-Elysées aussi bien qu’au Champ de Mars, les écoles de la Grande-Bretagne et de la Belgique tiennent, sous ce rapport, le meilleur rang par la vigueur et l’éclat de leurs peintures. Ce sont souvent des études sommaires et brutales, quelquefois, au contraire, extrêmement détaillées et précises, mais presque toujours imprégnées d’un sentiment profond d’admiration respectueuse et heureuse pour la campagne, les montagnes, les bois et la mer. Chez eux, d’ailleurs, comme chez nous, on trouve des réalistes et des idéalistes. Il y aura toujours, en effet, deux façons, pour un peintre, de comprendre le paysage : la première, en simple observateur, attentif et exact, des phénomènes extérieurs ; la seconde, en rêveur, naïf ou cultivé, qui cherche plutôt, dans la contemplation de la nature, un prétexte à répandre des confidences personnelles ou une occasion de donner un cadre à ses souvenirs. La première est celle d’Hobbema, de Constable, de Théodore Rousseau et de la plupart des paysagistes contemporains, après avoir été celle de Van Eyck et de Jehan Foucquet ; la seconde est celle de Claude Lorrain, de Ruysdaël, de Watteau, de Turner, de Corot, dont les précurseurs se peuvent trouver dans les grands figuristes de la Renaissance, Léonard de Vinci, Titien, Annibal Carrache et leur entourage. Les deux manières sont bonnes pourvu qu’elles soient sincères, et ce serait folie, comme on l’a fait parfois, de vouloir absolument proscrire l’une en faveur de l’autre. L’observation et l’impression peuvent-elles nous donner, tour à tour ou même simultanément, des jouissances de l’esprit aussi vives et aussi nobles ? Les réalistes ont donc raison et les idéalistes n’ont pas tort ; il leur arrive, d’ailleurs, plus d’une fois de coiffer le même bonnet ; c’est le cas des vrais maîtres, dans leurs bons momens. Sans sortir du Louvre, devant la Tempête de Ruysdaël ou le Souvenir d’Italie de Corot, n’est-il pas malaisé de dire où finit la notation exacte, où commence l’interprétation personnelle ?

La juste réaction contre la sécheresse d’un réalisme trop minutieux, qui s’est manifestée depuis quelques années en faveur d’une vision plus libre et plus émue, d’abord par les naïvetés ou les subtilités des impressionnistes, ensuite par les abréviations et les synthèses des décorateurs, aura eu pour effet de déblayer le champ des théories stériles et de permettre, d’abord, de rendre justice aux uns et aux autres, suivant le cas et suivant les heures. Je dis suivant les heures, et je crois que je dis bien. Quel est, en effet, celui de nous qui, entrant dix fois au Salon, y entre et s’y promène dix fois dans les mêmes dispositions de l’esprit et des yeux ? Ce qui nous attire un jour nous agace le lendemain. N’y a-t-il pas des momens où l’on ne saurait regarder dix portraits de suite sans