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plaisir s’anémier et s’asphyxier. Le ciel soit loué ! Ce sont les gens sains et bien portans qui remontent et qui s’affirment. Nous avons retrouvé avec plaisir M. Duez, le Duez vivant et franc, compagnon joyeux et beau coloriste, dans deux études-portraits faits en Normandie, diaprés des types bien locaux et bien caractérisés, Julien Jamet, patron de barque et la Mère Germain, tous deux de Villerville. M. David-Nillet, d’abord imitateur de M. Lhermitte dans ses études champêtres, d’un travail pointillé et grisâtre, fait, lui aussi, un effort vigoureux pour donner à sa peinture plus d’ampleur et de solidité dans son groupe presque colossal de paysans tuant le Cochon. C’est beaucoup d’honneur pour la charcuterie, et l’on ne saurait dire que le résultat définitif justifie absolument les proportions inattendues données à cette tragédie de basse-cour ; mais, au point de vue pittoresque, le progrès est intéressant. La Femme en deuil et Mer sereine, de M. Richon-Brunet, une paysanne bretonne en capeline noire, debout sur un quai, est traitée, d’une main encore hésitante, avec plus de simplicité et de grandeur que ne ferait supposer la sentimentalité du titre ; quelques pochades de paysage, vives et franches, annoncent d’ailleurs, dans M. Richon-Brunet, un coloriste à la façon flamande. D’autres artistes plus connus et déjà classés, comme MM. Perret, Gœneutte, Jeanniot, Moutte, Gros, Charles Meissonier, recherchent visiblement aussi une alliance plus étroite du dessin ferme et de la couleur forte. Dans les recherches, un peu inquiètes, mais toujours curieuses, de M. Gœneutte, on rencontre des notes d’une saveur singulière, par exemple son Carrier. Les Conscrits de M. Jeanniot, étalant leurs torses piteux et leurs jambes maigres, sous l’œil attentif de Pandore, dans une salle de mairie, n’offrent pas, sans doute, un spectacle plastique aussi ravissant que les éphèbes des Panathénées ; mais l’étude est sincère, sans affectation caricaturale comme sans mensonge académique, dessinée et peinte avec aisance et justesse.

M. Jeanniot, libre et éclectique, se tient, comme plusieurs autres, entre deux groupes dont le premier, celui que nous venons de traverser, cherche le caractère dans les scènes de mœurs contemporaines, par la résolution et la vigueur dans le coloris ou le dessin. Le second se préoccupe davantage de l’exactitude fine dans le détail et de la délicatesse nuancée dans les harmonies. C’est à ce dernier qu’appartiennent MM. Adolphe Binet, Priant, Muenier. Ils continuent à y représenter avec talent la recherche de l’extrême précision dans l’analyse des types et de leurs milieux. Le danger qu’ils côtoient sans cesse et où ils ne laissent pas de glisser par instans, c’est un peu de sécheresse et de froideur. Les