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exprimé la beauté, telle qu’ils la comprennent suivant leurs tempéramens divers. Dans les Diamans noirs, l’éclatante orchestration des carnations sanguines et ensoleillées, des yeux noirs profonds, du vêtement somptueux piqué de vert, de pourpre et d’or, dans la Primerose, la finesse presque diaphane des tonalités discrètes dans le rosé du visage et le gris bleuâtre du fichu de crêpe, accentuent délicieusement, d’une part, l’air de victorieux épanouissement, d’autre part, celui de languissante rêverie qui charment tour à tour, dans ces deux aimables visages. La Douce Rêverie de M. Tony Robert-Fleury, une jeune femme accoudée et lisant, rentre encore agréablement dans cette série fort nombreuse des études-portraits si bien faites pour mettre en son jour la valeur d’un peintre. Il est juste de signaler dans la série plus d’un excellent ou agréable ouvrage signé d’un nom féminin, notamment la Pensierosa et l’Infante, par Mme Juana Romani, dont la virtuosité savoureuse procède en partie de MM. Henner et Roybet, mais s’affirme résolument à leurs côtés, la Canzonetta de Mlle Robert Godin, le Portrait de Mlle Alphée Dubois, en costume oriental, par Mme Achille-Fould, d’une exécution vive et brillante.

En dehors de ces études sur nature dans lesquelles la fantaisie des artistes s’est réservé toute liberté d’arrangement et d’interprétation, la foule des portraits proprement dits, des images exactes ou soi-disant telles est presque innombrable dans les deux Salons. Aux Champs-Elysées, c’est par la présentation simple et grave du modèle sur un fond uni ou peu compliqué, par l’accentuation résolue et nette de son caractère individuel, sans recherches étrangères de distractions pittoresques, suivant les traditions classiques, que se distinguent les œuvres les plus saillantes. Les figures presque entières, vues jusqu’aux genoux, de S. A. S. le Prince de Monaco, par M. Bonnat, de M. Gérome, par M. Morot, de M. Pelpel, par M. Doucet, de M. L. D…, par M. Dawant, sont, à des titres divers, d’excellens spécimens dans ce genre. Le prince régnant, en uniforme militaire, chamarré de décorations, debout, la main sur "une carte de géographie déployée, conserve l’attitude droite et calme qui sied à son rang ; l’exécution est vigoureuse et rigoureuse, notamment dans le visage basané et dans les mains nerveuses, telle qu’on l’attend toujours de M. Bonnat. L’artiste, M. Gérome, assis, les jambes croisées, en travers, sur une chaise au dossier de laquelle pend sa main droite, l’autre main dans la poche, se présente avec la familiarité et la vivacité d’un artiste causant avec des amis. La ressemblance est extraordinaire et les traits du modèle, si nets, si fermes et lins, avec sa physionomie décidée, ardente et bienveillante, sont exprimés vivement