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L’irascible Allemand dépense plus que les six minutes réglementaires en invectives que le matin président n’arrête qu’à regret. Il faut de la patience au professeur. Il écoute, sans réplique, les injures qui lui sont jetées à la face. Je m’étonne que miss Addams laisse maltraiter ainsi ses hôtes. Miss Starr se penche, anxieuse, à son oreille, et semble lui demander d’intervenir ; mais je crois l’entendre répondre : « Nous les connaissons, ils ne sont pas si terribles qu’ils en ont l’air. » Et elle garde une attitude impartiale, sa conviction étant qu’il faut une soupape de sûreté à toutes ces colères, à toutes ces rancunes.

D’ailleurs le travail intellectuel trouvera des défenseurs.

Un jeune homme frêle, aux yeux irlandais, d’un bleu vif, mieux vêtu que les autres, une chaîne de montre à son gilet, proteste contre l’épithète de fainéans appliquée à tous ceux qui ne sont pas de simples manœuvres. Il a, dit-il, travaillé des deux façons, et trouve que le plus rude effort est encore celui du cerveau. Très simplement, il raconte ses propres expériences. Après des années où il avait manqué de tout, il est allé en Californie, et maintenant il dirige un ranch considérable avec beaucoup de travailleurs sous ses ordres. Parmi ceux-là, quelques-uns prospèrent, comme il a prospéré ; mais pour réussir il ne s’agit pas de ne faire que son devoir tout tranquillement ; ce n’est pas assez en un temps de compétition enragée. Là-dessus il cite l’exemple de deux garçons, ses subordonnés : l’un était bon ouvrier en ce sens qu’il s’acquittait de sa tâche à la lettre. On l’a payé et remercié après s’être servi de lui. Le second travaillait jour et nuit, défiant par son zèle toute rivalité. Aujourd’hui il gagne soixante-dix dollars, trois cent cinquante francs par mois. Conclusion : pour arriver il s’agit de vouloir, mais non pas de vouloir mollement comme tant d’autres, de vouloir enfin ! — Un geste achève sa pensée. Nul ne doute que ce blondin, aux ressorts d’acier, ait voulu, voulu jusqu’à ce qu’il ne lui restât plus de chair sur les os.

Plusieurs encore parlent à la suite, souvent d’une façon bête et lourde : ce ne sont que de vagues balbutiemens d’anarchie. Et en dernier lieu, le petit président, tout voûté, tout ridé, sous ses cheveux blancs qui se hérissent, laisse éclater un emportement de commande. Lui aussi veut répondre à ce beau professeur qui a recommandé l’épargne à ceux qui ne possèdent rien, le travail à ceux qu’on repousse de tous les ateliers et qui s’est montré si sévère à l’égard des tramps, des vagabonds, ayant l’air de les confondre avec les malhonnêtes gens. Un vagabond ! mais Jésus-Christ n’était que cela ! C’est dit dans l’Évangile : « Les