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conférences, etc. Miss Starr leur fait un cours spécial sur des questions d’art et me raconte que souvent ses élèves lui apportent leurs petites économies pour les appliquer à l’achat de photographies qu’on leur envoie d’Italie, photographies de tableaux de maîtres que j’ai remarquées en effet sur tous les murs de la maison. Les préférences d’une majorité nombreuse sont pour Botticelli. Botticelli populaire dans les faubourgs de Chicago, n’est-ce pas étrange ? L’influence de l’enseignement de miss Starr y est, je suppose, pour beaucoup, et aussi l’influence du type physique de miss Addams, qui ressemble plus que personne en ce monde à un Botticelli avec sa figure de sainte, pâle, anxieuse, aux joues légèrement creusées, au front pensif, avec ses grands yeux profonds dont le regard n’effleure que vaguement tout ce qui n’est pas une douleur ou une misère.

— Je ne veux pas dire, — explique miss Starr, — que toutes nos filles aient des goûts aussi délicats, il y en a qui aiment la toilette, les frivolités ; celles-là aussi sont libres de suivre leur penchant. Nous comptons pour les conduire plus haut sur l’exemple des autres, sur l’atmosphère de la maison où du reste la vie n’a rien d’austère. Chaque semaine elles donnent une petite soirée ; musique, rafraîchissemens, rien ne manque. Elles ont leur part d’honnête superflu.

L’aimable visage de miss Starr rayonne à cette pensée.

Nous regagnons le bâtiment principal : un large vestibule le partage en deux ; à droite et à gauche, il y a de grandes pièces où j’entre pour constater ce qui, d’une manière ou d’une autre, se produit chaque soir. Dans la première salle d’étude, une dame canadienne enseigne le français à une douzaine d’élèves. Dans la seconde, une lecture a lieu ; ailleurs quelques jeunes gens dessinent, toujours sans aucune séparation de sexes.

Les fils des riches habitans de Chicago s’occupent du club des garçons, entrant en rapport avec ces gamins déshérités naguère et qui aujourd’hui apprennent en s’amusant toute sorte de choses : le modelage, la sculpture sur bois, la géographie, l’histoire d’Amérique, même un peu de latin, sans parler de tous les jeux de leur âge. Ils ont un superbe gymnase éclairé comme en plein jour, où je les vois faire des exercices après lesquels plusieurs prennent une douche : les bains établis à Hull-House ont contribué autant que quoi que ce soit à la santé physique et morale du quartier. Mais le grand bienfait c’est la cuisine : un ordinaire substantiel et varié attend à l’heure des repas tous ceux qui veulent se nourrir au plus bas prix possible ; on emporte chez soi tel ou tel plat, et on peut prendre des leçons qui en valent bien d’autres, car