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d’employer la force. Il pensait qu’on aurait facilement raison de cette résistance isolée.

Cependant, à la cour, Nevers trouvait un secours inattendu. Le garde des sceaux. Du Vair, était resté, au fond, l’ami des princes. Il supportait mal le reproche que lui faisaient ses amis et surtout les parlementaires d’être, au pouvoir, le prisonnier et l’instrument des favoris et des ministres.

Cette longue barbe crut bien choisir son moment en faisant un éclat sur l’affaire de Nevers. En plein conseil, Du Vair dit à Barbin « qu’il se trompoit s’il pensoit le rendre ministre de ses conseils violens. » Barbin ne répondit rien sur l’heure ; mais, le lendemain, le garde des sceaux fut congédié. Il prit, d’ailleurs, la chose en philosophe et en honnête homme. En remettant les sceaux à la reine, il lui adressa un discours du genre stoïque, où il disait, un peu longuement, des choses excellentes et qui furent généralement approuvées. On nomma à sa place Mangot, qui laissait ainsi vacante la place de secrétaire d’État, où il avait d’ailleurs paru insuffisant. C’était le moment de payer les services déjà nombreux rendus par l’évêque de Luçon. On ne pensa à nul autre. Laissons-le s’expliquer lui-même sur cet événement : « Peu de jours auparavant, j’avois été nommé pour aller en Espagne ambassadeur extraordinaire pour terminer plusieurs affaires… Par mon inclination, je désirois plutôt la continuation de cet emploi, qui n’étoit que pour un temps, que celui-ci, la fonction duquel étoit ordinaire. Mais outre qu’il ne m’étoit pas honnêtement permis de délibérer en cette occasion où la volonté d’une puissance supérieure me paroissoit absolue, j’avoue qu’il y a peu de jeunes gens qui puissent refuser l’éclat d’une charge qui promet faveur et emploi tout ensemble. J’acceptai donc ce qui me fut proposé en ce sujet par le maréchal d’Ancre, de la part de la reine, et ce, d’autant plus volontiers que le sieur Barbin, qui étoit mon ami particulier, me sollicitoit et m’y poussoit extraordinairement. »

Ceci se passait à la fin de novembre 1616. Il y avait dix-huit mois que Luçon avait prononcé son discours aux États généraux, huit mois qu’il avait quitté son prieuré de Coussay pour venir s’installer à Paris. En ce court laps de temps il était devenu successivement aumônier de la reine régnante, conseiller d’État, secrétaire des commandemens de la reine mère ; il avait été chargé de plusieurs missions importantes, s’était fait attribuer une pension de six mille livres, chiffre considérable pour l’époque ; avait été désigné comme ambassadeur en Espagne, et, sans même en avoir rempli les fonctions, devenait secrétaire d’État. Sauf le court intérim de Mangot, il succédait ainsi à ce « grand colosse froid