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aubaine de débuter comme conducteur de locomotive à 30 roupies, — 60 francs par mois. » Bientôt, on se passera de lui tout à fait : les natifs font le service et le font bien, pour 8 à 10 roupies par mois. Dans cette lutte imprévue de la colonie et de la métropole, un premier résultat est déjà acquis : décadence irrémédiable du conquérant dans sa conquête elle-même. Les créoles, capitans à la première génération, sont devenus plantons d’administration à la seconde, mendians à la troisième.

Les 400 millions de Chinois sont également en passe de devenir grands producteurs ; ils profitent, eux aussi, des leçons que nous avons bien voulu leur donner. Apparaissent-ils quelque part, l’ouvrier blanc ne peut lutter contre eux. À Victoria, en Australie — où M. Pearson était ministre de l’Instruction publique, — les Chinois ont récemment entrepris la fabrication des ameublemens ; en cinq ans, ils ont tué la main-d’œuvre blanche et sont restés seuls maîtres du terrain. La Chine est à la veille d’une révolution économique. Demain ou après-demain, elle aura le combustible à bon marché en le tirant de ses mines de charbon ; elle aura les transports à bon marché, par chemins de fer et bateaux à vapeur ; enfin elle aura fondé des « écoles techniques » où la science occidentale deviendra la possession de l’Orient.

Aux prévisions de M. G. Le Bon, de M. Pearson, les journaux anglais de l’Inde ont répondu que les ouvriers orientaux finiraient par avoir nos besoins et, par conséquent, deviendraient aussi exigeans pour les prix que les ouvriers occidentaux. L’auteur des Civilisations de l’Inde réplique à son tour que le caractère psychologique de la race hindoue est trop stable pour pouvoir être modifié assez vite. Il y a longtemps que les Chinois sont établis, en Amérique et en Australie, dans les centres les plus civilisés ; malgré le luxe qui les entoure, la tasse de thé et la poignée de riz continuent de suffire à leurs besoins journaliers. Quand un ouvrier hindou a gagné les cinq ou six sous nécessaires à sa subsistance, l’appât des sommes les plus élevées est sur lui sans action. M. Le Bon remarque en outre que l’immense chemin de fer transsibérien, qui avance à pas de géant, réunira bientôt la Chine à l’Europe : les transports de Shanghaï, qui demandent quarante-cinq jours actuellement, s’effectueront en dix-huit par la voie russe. Chine et Inde, en attendant les nègres, nous enlèveront alors tous nos débouchés en dehors de l’Europe et essaieront de nous inonder nous-mêmes de leurs marchandises. Que deviendra l’industrie européenne, quand elle n’aura plus devant elle, comme jadis, les larges horizons, les longs espoirs et les vastes pensées ? Que deviendra, du même coup, le caractère de la race blanche en Europe ? « L’affaissement de qui n’a plus rien à attendre