Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne reste que peu de sang espagnol ; au Mexique, en comparaison du chiffre de la population, les Européens ne sont qu’une poignée. Les limites des races, qu’on croyait indéfiniment mobiles, semblent donc immuables et se confondent avec les limites mêmes des zones terrestres.

Aussi les territoires ouverts dans l’avenir à l’émigration européenne sont-ils, selon M. Pearson, très restreints. Que reste-t-il d’habitable à la race blanche ? Un peu de place dans l’Amérique du Nord, dans l’Argentine, dans l’Asie centrale, dans quelques îles de l’Océanie, sur les bords de la Méditerranée et au nord du Cap. Il est probable que les Chinois envahiront la Malaisie ; ils entrent déjà pour moitié dans la population de la plupart des grandes villes. Probablement aussi ils nous préviendront dans l’Asie centrale. En Chine seulement, ils sont déjà 400 millions ; un peu après le milieu du prochain siècle ils seront 800 millions. Comment arrêter ce flot montant des races colorées, qui menace d’engloutir les « îlots blancs » ? Le mouvement qui existe en Asie existe aussi en Afrique. Une population nègre double en quarante ans. Pourrons-nous résister à ce qu’on a justement nommé « la puissance imbécile du nombre ? » En 1842, l’Angleterre s’empare du Natal, où on ne comptait que cinq noirs par mille carré. Attirés par le climat, les Européens accourent ; mais les noirs d’accourir aussi — sans compter les Chinois et les Hindous, — grâce à la sécurité que leur offrait le gouvernement des blancs. Aujourd’hui, pour un blanc, il y a treize hommes de couleur. Avant cinquante ans, les Européens auront été absorbés dans la masse.

Ainsi la loi de la population, qui tend à amener une natalité stationnaire chez les nations les plus civilisées, vient compliquer la loi de l’acclimatation et agir dans le même sens. Ajoutez-y maintenant le jeu des lois économiques. Sur les marchés industriels, nous sommes, selon M. Pearson, vaincus d’avance. Les Hindous, au nombre de 300 millions, sont en train de redevenir une société industrielle, qui, au lieu d’être un foyer d’importation, deviendra uniquement foyer d’exportation. Dans une récente étude sur l’Inde contemporaine[1], M. Em. Barbé nous montre les fabricans anglais, fatigués des grèves si fréquentes en Angleterre, re transportant l’industrie des cotonnades dans son berceau primitif, l’Inde. Ils trouvent là-bas des bailleurs de fonds, des ouvriers, des contremaîtres, des comptables, voire d’excellens ingénieurs-mécaniciens, le tout pour des salaires qui sembleraient dérisoires à l’Européen. Aujourd’hui, un fils de capitaine anglais en est réduit à considérer « comme une bonne

  1. Revue Scientifique du 29 juillet 1893.