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prochaine et aussi rapide. On ignore encore les circonstances qui l’ont accompagnée.

L’ordre de succession au Maroc n’est pas réglé suivant des principes fixes, et la plupart du temps c’est le hasard ou la force qui préside à l’installation d’un nouveau sultan. Dans la famille de Moulaï-Hassan, plusieurs concurrens sont en présence. Il avait lui-même désigné pour son successeur Moulaï-Abd-ul-Aziz, fils d’une Circassienne qui était sa favorite. Abd-ul-Aziz n’est âgé que de seize ans. Il vient, dit-on, d’être proclamé par les troupes ou du moins par un corps de troupes ; mais il s’en faut de beaucoup que cette investiture lui assure la tranquille succession de son père. Un autre fils du sultan défunt, Moulaï-Mehemed, avait été autrefois désigné lui aussi comme devant être son successeur. C’est un jeune homme actif, énergique, ambitieux, habitué aux expéditions militaires. On serait donc bien surpris s’il ne se formait pas au Maroc au moins deux partis, sans parler de toutes les ambitions qui peuvent encore s’y produire, ne fût-ce que de la part des frères du sultan. Il y a là une complication de plus, ajoutée à toutes celles qui sollicitent en ce moment l’attention de l’Europe. Le Maroc intéresse à la fois un grand nombre de puissances, et notamment la France, qui est sa plus proche voisine en Algérie, et qui a avec lui de longues frontières communes, vagues et incertaines sur plus d’un point. Partisans résolus du statu quo marocain, il nous a été relativement facile de le maintenir du vivant de Moulaï-Hassan, dont l’autorité personnelle avait pris chaque année, quelquefois même à nos dépens, une plus grande consistance. Sa mort, et la période d’anarchie qui menace de la suivre, soulèveront bien des difficultés, si toutes les puissances n’imitent pas notre prudence et notre désintéressement. C’est le moment de rappeler la parole inquiétante et prophétique prononcée un jour par lord Salisbury, lorsqu’il a annoncé que la question marocaine soulèverait plus tard des difficultés aussi redoutables que la question d’Orient. Il dépend en très grande partie de l’Angleterre d’éloigner la réalisation de ce présage ou de la rapprocher.

FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.