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la première atteinte, les autres, à leur tour, n’ont pas tardé à en être éprouvés : au moment où s’imprimait notre dernière chronique, la nouvelle se répandait en Europe que M. Stamboulof y avait brusquement succombé. Personne ne s’y attendait, et la surprise a été grande. Quo-modo cecidit ?… Comment a-t-il été renversé ? C’est la question que tout le monde s’est posée. On avait pris l’habitude d’appeler M. Stamboulof le petit Bismarck ; on ne croyait pas si bien dire. Toute proportion gardée entre les personnes, il a suffi, à Sofia comme à Berlin, d’un caprice du souverain pour faire disparaître un ministre qui semblait tout-puissant. La chute, ici et là, a été soudaine et profonde. Il est bien certain aujourd’hui que le prince de Bismarck ne s’en relèvera jamais, car l’âge et la maladie, ajoutés à la disgrâce, sont venus à bout de ses forces ; mais pour M. Stamboulof, on ne saurait jurer de rien. De toutes les preuves d’audace et de résolution dont il est coutumier, le fait de rester à Sofia et d’y organiser tranquillement l’opposition contre son successeur, tout en protestant de son loyalisme envers le prince Ferdinand, n’est certainement pas la moindre. Il a donné lui-même des exemples que d’autres pourraient avoir la tentation de suivre, et il s’en trouverait mal. Mais M. Stamboulof n’est pas superstitieux ; l’ombre de Panitza ne lui fait pas peur. Toucher à sa personne, on n’oserait. Il le croit du moins, comme tant d’autres l’ont cru dans l’histoire, et peut-être a-t-il raison, car le prince Ferdinand n’est rien moins qu’un barbare. Mais il est prince, et, lui aussi, il a voulu s’émanciper. Le joug de son ministre lui a paru trop lourd, il l’a secoué. Le moment a été si bien choisi et l’exécution si bien faite qu’à peine y a-t-il eu un peu de bruit dans la rue. On raconte que M. Stamboulof s’était malencontreusement aliéné l’armée, par les imprudences qu’il avait commises, au moins en paroles, auprès de la femme du ministre de la Guerre. L’armée bulgare a prouvé qu’elle avait l’esprit de corps en prenant fait et cause pour son chef. Cet incident banal a-t-il eu toute l’importance qu’on lui attribue ? Il est probable que la chute de M. Stamboulof est due à des causes plus générales, et surtout à l’impatience de régner par lui-même qu’éprouvait le prince Ferdinand. Son mariage avec une princesse de Bourbon a achevé de donner à celui-ci tous les sentimens d’un souverain légitime, et ces sentimens ne perdent rien à l’exportation : Ferdinand de Cobourg se sent prince de Bulgarie, tout comme si ses ancêtres y régnaient depuis des siècles : ces choses-là sont dans le sang. On assure et nous croyons volontiers qu’il ne faut pas chercher ailleurs la cause de la petite révolution qui vient de se produire à Sofia. M. Stamboulof a été remplacé par M. Stoïlof, et depuis, soit le prince Ferdinand, soit son nouveau ministre, s’appliquent à répéter qu’il n’y a rien de changé en Bulgarie. La politique extérieure notamment restera la même ; la politique intérieure sera seulement plus libérale. De toutes les crises ministérielles celle-ci