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des discussions de diverse importance. La première a porté sur l’affaire Turpin, une autre sur le général de Galliffet : nous demandons pardon de réunir ou plutôt de juxtaposer des noms aussi différens. L’affaire Turpin a permis de constater une fois de plus que les assemblées sont peuple, et qu’elles se laissent entraîner avec une mobilité extrême et une violence fâcheuse aux impressions qu’elles devraient le mieux dominer. Il n’y a pas de plus noble sentiment que le patriotisme : toutefois, il a besoin d’être éclairé et il gagne à être accompagné d’un certain tact, nous ne dirons pas d’un certain flair, parce que M. le ministre de la Guerre a un peu abusé de ce mot. — Croyez-en, a-t-il dit, mon flair d’artilleur, Turpin n’a rien inventé du tout. — Il est certain aujourd’hui qu’il n’a pas inventé la mélinite, et c’est pourtant sur la croyance ou la supposition contraire que reposait toute sa gloire. Il a su se faire dans la presse une clientèle d’amis et d’admirateurs qui, même lorsqu’il était en prison, n’ont pas cessé de le défendre, de réclamer sa grâce, de le présenter comme le sauveur prédestiné de la patrie. On a vu partout, le long des rues de Paris, des images qui le montraient dans son cachot, grave, pensif, l’œil inspiré, appliqué aux plus grands problèmes, inventant, inventant toujours, et multipliant des découvertes dont la moindre devait mettre en déroute toutes les armées ennemies. Elles fuyaient déjà dans les nuages de fumée qui entouraient le prisonnier d’une auréole. L’imagination populaire s’est complu dans ces rêves. Aussi l’émotion a-t-elle été très vive lorsqu’on a appris que Turpin, éconduit une fois de plus par le ministère de la Guerre, avait vendu à l’étranger la merveilleuse invention qui devait renouveler l’art de la guerre, — à moins pourtant qu’elle ne le supprimât.

M. Le Hérissé a interpellé à ce sujet M. le général Mercier, et celui-ci s’est trouvé un peu décontenancé devant l’attitude de la Chambre. Il était habitué à rencontrer confiance et bienveillance ; on lui témoignait défiance et hostilité. C’était le jour même de la constitution du ministère : il a failli ne pas traverser sans mésaventure cette première épreuve. Tout s’est terminé par un ordre du jour médiocre, à la suite duquel M. le ministre de la Guerre a réformé le comité chargé d’examiner les découvertes des inventeurs. Si la Chambre continue de manifester le même esprit, il faut plaindre les membres de ce comité I Turpin, soit qu’il ait été un peu effrayé du bruit fait autour de son nom, soit qu’il n’ait pas trouvé acheteur au dehors, a bien voulu confier au gouvernement sa grande découverte sous pli cacheté. On saura bientôt à quoi s’en tenir. En attendant, il faut bien constater que la Chambre a montré une nervosité qui, dans ces sortes d’affaires, est d’assez mauvais augure. Elle l’a manifestée une fois de plus, mais dans un meilleur sens, lorsque M. Paschal Grousset a interrogé le ministre de la Guerre sur les prétendues confidences que le général de Galliffet aurait faites à un journal, confidences qui témoignaient d’un profond découragement au