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portés à croire que le peu de succès de ses explorateurs n’a pas été la seule cause qui ait déterminé l’Allemagne à accepter le nouvel arrangement. Le gouvernement allemand a dû avoir devant les yeux d’autres considérations plus hautes qu’il ne veut ou ne peut avouer. Le Soudan oriental sera un lourd fardeau ; il sera une source de difficultés sans cesse renaissantes ; il occasionnera de grandes dépenses en hommes et en argent ; le protectorat du pays, si toutefois les chefs veulent bien l’accepter, restera longtemps nominal. L’Allemagne qui a l’œil sur l’Europe, qui est ménagère de ses soldats et de ses écus, n’a pas voulu s’aventurer dans le guêpier. Ce faisant, elle a fait preuve d’une prudente sagesse. Elle s’est dit d’ailleurs que le lot qui lui était reconnu, bien qu’il fût réduit, restait superbe. Les plateaux de l’Adamaoua sont salubres et fertiles. Ils se maintiennent à une altitude qui permet à l’Européen d’y vivre et de s’y acclimater. C’est une colonie de peuplement, chose rare en Afrique, et quelques-uns de ses districts valent plus que tous les marais du Chari. L’Allemagne se voit en outre délivrée de toute inquiétude sur ses frontières. C’est la France qui va monter la garde : les nouveaux territoires qu’elle s’est réservés vont servir de marche orientale au Cameroun allemand et au Soudan anglais. A l’Allemagne et à l’Angleterre les gros profits commerciaux sur la côte, à la France les luttes stériles dans le désert.

Nous allons avoir un rôle bien glorieux, mais bien pénible à remplir. Il nous faudra tenir en mains des peuples remuans, prévenir les querelles intestines, réprimer les insurrections. Nous n’en avons pas fini non plus avec les contestations d’origine européenne. Notre flanc gauche est désormais couvert à l’ouest par notre arrangement avec l’Allemagne, mais il faut faire face à l’est et au nord, aux Belges et aux Anglais : aux Belges qui se sont élevés le long du M’Bomou et du Schinko jusqu’au 6e degré de latitude et menacent de s’élever plus haut encore, aux Anglais qui, longtemps indécis sur le sort de l’Ouganda, se sont décidés à l’occuper, viennent de terminer la guerre de l’Ounyoro, et font leur apparition dans le Soudan égyptien. Des incidens récens ont assez montré la réalité du danger pour que nous n’ayons pas besoin d’y insister. L’attitude du gouvernement nous permet d’ailleurs d’espérer que la solution à intervenir s’inspirera par-dessus tout des intérêts de la civilisation européenne en Afrique.


Dr ROUIRE.