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en étaient alors à la première période de leur fièvre coloniale ; ils n’avaient d’autre désir que d’agrandir le plus possible leur nouveau domaine, sans se soucier outre mesure des droits acquis par leurs devanciers. Des empiétemens de leur part étaient à redouter d’autant plus que les points occupés par eux se trouvaient enchevêtrés sur le littoral au milieu des établissemens français et anglais. Il fallait bien se résigner cependant, et puisqu’on n’avait pu empêcher un tel voisinage, le mieux était de s’en accommoder et de chercher à éliminer toute cause de conflit. C’est ce que comprirent l’Angleterre et la France, qui se résolurent à convier l’Allemagne à la délimitation de leurs territoires réciproques. L’Angleterre entra la première dans cette voie. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle avait dès le 27 octobre 1884 reconnu le fait accompli en ce qui concernait l’occupation du Cameroun par l’Allemagne et transmis en ce sens une déclaration à Berlin. Des pourparlers s’engagèrent aussitôt après la note remise entre lord Granville et le prince de Bismarck pour le tracé d’une frontière commune entre les établissemens anglais et les établissemens allemands de la côte occidentale d’Afrique. L’entente fut difficile à établir, parce que le gouvernement allemand voulait englober dans sa possession le massif du Cameroun tout entier, tandis que l’Angleterre en poursuivait le partage. Les négociations se prolongèrent deux mois ; enfin, à la suite d’une mission remplie auprès du cabinet de Londres par le comte Herbert de Bismarck, un premier traité fixa, le 7 mai 1885, les limites des sphères d’influence de l’Allemagne et de l’Angleterre dans le golfe de Guinée. La frontière adoptée fut, sur le littoral, l’embouchure du Rio-del-Bey ; à l’intérieur, une ligne longeant la rive droite de ce cours d’eau depuis son embouchure jusqu’à sa source, puis se dirigeant droit vers la rive gauche de la rivière du Vieux-Calabar et se terminant à un point marqué par le mot rapids sur la carte anglaise de l’Amirauté.

La ligne de démarcation ne fut pas alors poussée plus loin. On n’avait pas de données géographiques sur la région au-delà des rapides du Vieux-Calabar, et ce point lui-même n’avait été choisi que parce qu’il marquait la limite alors connue du cours du Vieux-Calabar, atteint en 1842 par le capitaine Bancroft. Il faut dire aussi que l’Allemagne n’avait pas voulu s’engager au-delà, afin de réserver l’avenir. Ce que le sang-froid du consul Hewet annexant le pays jusqu’aux rives du Niger avait empêché Nachtigal de faire, le gouvernement allemand espérait par voie diplomatique l’obtenir. Il rêvait de donner à la colonie comme frontière nord au-delà des rapides les rives mêmes du Niger et de la