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ensuite ; elle aussi a crû en valeur, parce que l’hectare cultivé se vend et se loue beaucoup plus cher que jadis, et qu’il y a, dans l’intérieur de nos frontières, une quantité beaucoup plus grande d’hectares cultivés qu’il n’y en avait au XVIe ou au XVIIe siècle. Cette propriété rurale paraît aujourd’hui menacée. Sa hausse n’est pas seulement interrompue ; ses prix ont même fléchi fortement sur certains points, et l’on peut se demander si elle n’est pas condamnée à l’immobilité ou au retour en arrière ; si la crise de fermage qu’elle traverse se dénouera par une diminution des baux, ou si l’on parviendra à maintenir le taux des locations, soit par de nouvelles découvertes agricoles, ce qui est possible, soit en élevant artificiellement, au moyen de droits de douane, le prix des subsistances et des matières premières.

Il est peu probable que cette dernière hypothèse se réalise, du moins pendant un temps bien long, et que la masse d’une nation démocratique se résolve à payer, dans une mesure quelconque, une subvention déguisée à la classe des propriétaires fonciers, quelque nombreuse que soit aujourd’hui cette classe en France.

Il peut donc arriver que la propriété rurale d’à présent subisse jusqu’à un certain point, le sort de la propriété mobilière d’autrefois, qui a énormément augmenté en quantité dans le monde, mais diminué énormément aussi en valeur, parce qu’elle devenait plus abondante. Il peut arriver que le prix de la terre et des produits de la terre, qui n’ont cessé de renchérir pendant des siècles, tandis que le prix du travail demeurait invariable jusqu’à 1800, soit soumis à cette loi qui a frappé jadis le loyer de l’or et de l’argent, en réduisant la puissance d’achat des métaux précieux et le taux de l’intérêt. Les propriétaires fonciers ruraux suivraient les propriétaires mobiliers dans leur décadence, tandis que continuerait la hausse triomphale des salaires que notre siècle a inaugurée et qui fait sa gloire.


Vte G. D’AVENEL.