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maisons d’école se louent jusqu’à 5 francs, témoin celle de Rémusat (Drôme) ; un journalier paie 7 francs de loyer dans l’Eure, un charpentier paie 12 francs dans l’Aisne et un chirurgien 18 francs. A la fin du règne de Louis XVI et durant la Révolution, une maison décente aux champs, fût-ce dans les pays pauvres, comme le Berry, se louait de 20 à 60 francs. Au-delà des Alpes, si l’on en croit Arthur Young, les loyers demeuraient plus modestes : il en coûtait 10 francs par an pour une chaumière, en 1788, dans les environs de Florence, et 5 francs seulement dans ceux de Milan.

La valeur vénale de ces immeubles de la dernière classe n’avait augmenté, de 1600 à 1800, que de 50 pour 100 : 425 francs en 1601-1625, contre 635 francs en 1776-1800. C’était une hausse beaucoup moindre que celle de l’hectare de terre, dans l’ensemble du royaume, qui avait passé de 277 francs pendant la première période à 764 francs pendant la seconde. En tenant compte du pouvoir de l’argent, qui était sous Henri IV le triple du nôtre, et sous Louis XVI le double seulement, le prix réel des maisons paysannes était vraiment, d’une date à l’autre, resté stationnaire (1275 francs contre 1270 francs).

Beaucoup plus sérieuse est la hausse des loyers dans les villes de province, puisque, de 116 francs au commencement du XVIIe siècle, ils montent à 288 francs à la fin du XVIIIe, ce qui correspond, comme je l’ai dit plus haut, à une valeur vénale de 5800 francs, à cette dernière époque, au lieu de 2300 francs à la première. Pourtant le chiffre des années qui précèdent la Révolution avait été non seulement atteint cent ans avant, mais dépassé : les maisons de province avaient valu jusqu’à 6 100 francs sous Louis XIV. Les bâtimens citadins s’étaient aussi, hâtons-nous de le dire, beaucoup plus modifiés que les habitations villageoises. Du XVIe au XVIIIe siècle, ils avaient gagné tout ce dont la classe bourgeoise, qui les occupait, s’était elle-même enrichie. Elle y avait imprimé son goût nouveau pour le bien-être ; la cage ici prenait la mesure de l’oiseau, tandis que la classe des laboureurs croupissait stagnante.

Celle-ci ne concevait aucune idée de progrès, parce que ses ressources ne lui auraient permis d’en exécuter aucune. Elle ne ressentait aucun besoin, parce qu’elle ne pouvait on satisfaire aucun. Si quelque immeuble, aux champs, s’embellit et s’améliore, ce n’est pas la demeure du rustre, — celle d’un métayer des environs de Marans est citée en 1666, avec considération, par l’agronome Kerbrat, comme « la seule cabane vitrée qui existe dans le canton » : — c’est la résidence d’été du marchand, du petit homme de robe, dont les appétits grandissent avec la fortune.