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nommément à Wagner ; mais c’est parce qu’on lui doit toute une série d’œuvres du plus haut intérêt, qui, tout en étant complètement indépendantes du wagnérisme par leurs sujets, se trouvent néanmoins constamment et profondément pénétrées de l’esprit wagnérien.

Henri de Stein, né en 1857, fut pendant un an, en 1880, le précepteur du jeune Siegfried Wagner, en même temps, pourrait-on dire, qu’il se faisait lui-même l’élève de Wagner, et que toute une transformation s’opérait en lui, car, de disciple qu’il avait été un instant du philosophe Dühring, il s’élevait dès lors aux doctrines de Schopenhauer et de Wagner. Il fut ensuite quelques années « privat-docent » à l’Université de Halle, puis à l’Université de Berlin, où il mourut en 1887. Si sa carrière fut courte, elle n’en fut pas moins bien remplie, et remplie d’œuvres où rien ne sent la hâte, où tout apparaît réfléchi, mûr, et d’ordonnance parfaite. A la Revue de Bayreuth il donna de nombreuses études, littéraires et philosophiques, sur Shakespeare et la Renaissance, sur Goethe, Jean-Paul, Giordano Bruno, Schopenhauer, Luther, Rousseau, etc., etc. Parmi ses ouvrages de plus longue haleine je signalerai son livre sur l’Esthétique des classiques allemands, et surtout son traité des Origines de l’Esthétique moderne, qui est comme une histoire de l’idée du Beau depuis Boileau jusqu’à Winckelmann, où se trahissent à chaque page le poète, en même temps que le philosophe, et aussi l’érudit possédant à fond les littératures allemande, française et anglaise. Enfin Henri de Stein est encore l’auteur de deux recueils de scènes dramatiques, où sans doute le philosophe a le pas sur le poète, mais qui sont tout à fait remarquables : Les Héros et le Monde (Helden und Welt), parus en 1883, dont Wagner a écrit la préface quelques jours avant sa mort ; et Les Saints (die Heiligen), parus seulement en 1888, un an après la mort de l’auteur. Le style d’Henri de Stein, peut-être un peu trop rigide et sec au début, s’était assoupli bientôt, tout en gardant une certaine sévérité qui n’exclut ni le charme, ni même la richesse, témoin certaines pages admirables de sa Sainte Elisabeth, qui font songer à la beauté des grands classiques.

On peut dire que tout ce qu’Henri de Stein a écrit fut de la littérature wagnérienne, et c’était bien ainsi que lui-même l’entendait, et Wagner également quand il écrivait la préface du premier de ces recueils de poèmes dramatiques. Les deux livres d’ailleurs procèdent de la même idée et poursuivent un même but. Dans une série de contes dialogues, Henri de Stein met successivement en scène le monde ancien, Solon, Crésus, Hannibal, Pompée, et le monde nouveau, saint Paul, saint Antoine, sainte