Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/810

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une concentration des forces wagnériennes, et l’aspect de la lutte devait changer. Je dis : l’aspect de la lutte, car la lutte continuait. Le résultat matériel était loin encore d’être satisfaisant, puisqu’il a fallu attendre seize années pour voir fonder à Bayreuth, — en 1892, — cette école de déclamation musicale que Wagner jugeait indispensable à la réalisation de ses vues artistiques, et dont il avait posé les bases dès 1877. Mais ce n’était pas seulement une école de déclamation, de musique et de drame, que Wagner voulait faire de Bayreuth ; c’était surtout une école d’où rayonnerait tout ce qui constitue cette « idée de Bayreuth » dont j’ai parlé plus haut. Quel avenir est réservé à cette conception de Wagner ? je n’ai pas à essayer de le pronostiquer ; je n’ai même pas ici à en discuter ni à en juger la valeur ; mais comme toute la vie, toutes les œuvres, et tous les écrits de Wagner ont eu pour base première cette conception, on voit donc qu’il est impossible de séparer chez lui le côté artistique du côté humain, social, religieux. Wagner lui-même faisait dépendre la valeur de L’un de la valeur de l’autre. Et loin de voir simplement comme une sorte d’apothéose pour lui dans les premières fêtes de Bayreuth, il y vit surtout une possibilité de répandre davantage ses idées, par le moyen que cela lui donnait d’en grouper tous les fervens, et de faire ainsi rayonner les idées elles-mêmes d’un centre plus vivement éclairé.

C’est à cette intention qu’il fonda la Revue de Bayreuth (Bayreuther Blätter), qui paraît mensuellement depuis le mois de janvier 1878. Wagner y publia lui-même la dernière série de ses écrits, qui forme avec Parsifal le point culminant de sa vie et de son œuvre, et qui fut comme son testament, pourrait-on dire. Autour de lui sont venus se grouper tous les hommes qu’on peut aujourd’hui sérieusement compter comme « littérateurs wagnériens ». Les noms que je vais avoir à signaler, on les trouve au premier rang parmi ceux des collaborateurs de la Revue de Bayreuth, et c’est là qu’ils ont donné la primeur de leurs meilleures études. L’esprit général qui anime cette publication, c’est d’examiner et de juger tout ce qui peut occuper et intéresser l’esprit humain, en se plaçant « au point de vue wagnérien », d’où l’on déclare qu’il faut demander à l’art de devenir dorénavant d’une façon tout à fait consciente et effective une force directrice pour l’humanité. Si, d’ailleurs, à la Revue de Bayreuth, on appelle cette conception de l’art « une conception wagnérienne », ce n’est pas à dire qu’on veuille indiquer par là qu’elle soit due à Wagner lui seul, mais on juge qu’on ne saurait mieux la définir que par le nom de Wagner, Wagner ayant plus que personne, et peut-être seul, tenté quelque