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voulant se rendre compte exactement des intentions de Wagner, craint cependant de les aller chercher dans ses écrits théoriques. Il peut y avoir en effet pour le lecteur non préparé une certaine difficulté à s’y reconnaître, à cause de l’apparente confusion qui semble parfois résulter, chez Wagner, de raccourcis de pensée assez fréquens, et qui sont tout d’abord un peu déroutans, car si la logique en est sûre, elle est en même temps si ardente qu’elle brûle les étapes et néglige volontiers beaucoup de points intermédiaires utiles à développer. L’étude du livre de Liszt pourrait donc bien être le meilleur moyen de se préparer à l’étude des écrits mêmes de Wagner.

Un seul exemple prouvera à quel point Liszt voyait clair dans la pensée de Wagner. Dès 1849, en effet, n’attirait-il pas l’attention, à propos de Tannhæuser, sur « cette surprenante innovation, grâce à laquelle la mélodie n’a plus seulement pour but d’exprimer certains états d’âme, mais aussi de les représenter ». Ces deux lignes valent des chapitres entiers de commentaires. Tout le passage d’ailleurs serait à citer ; et peut-être, si on l’avait lu plus qu’on ne l’a fait, nous eût-on épargné les mille sottises qu’il nous faut encore entendre tous les jours sur cette innovation dont parlait Liszt, et qui ne fut que plus tard désignée sous le nom de système des motifs directeurs (Leitmotive). Combien de naïfs, aujourd’hui même, ignorent le vrai rôle de ce procédé, qui ne laissent pas cependant d’y ramener presque tout le wagnérisme !

Après Liszt, le plus infatigable des champions de la première heure, ce fut Franz Müller. Haut fonctionnaire dans le grand-duché de Saxe-Weimar, il dut à la fréquentation de Liszt de se passionner comme celui-ci pour l’œuvre de Wagner. Chercheur que ne rebutaient point les plus patiens travaux, en même temps qu’écrivain des plus consciencieux, et soucieux d’exposer simplement et avec clarté ses idées, Franz Müller a écrit une série de livres dont la valeur a évidemment été reconnue par maints écrivains wagnériens postérieurs à lui, — car on leur a fait et on leur fait souvent encore l’honneur de les démarquer. De ces œuvres de simple démarquage, nous n’avons tout naturellement pas à nous en occuper ; mais, même en présence de travaux tout récens et peut-être plus complets d’exégèse poétique sur certains des drames de Wagner, il convient de rappeler que c’est Franz Müller qui a ouvert la voie à ceux qui se sont consacrés à ces questions. Nous ajouterons en passant que ses œuvres sont souvent plus lisibles, plus accessibles au public, que ne le sont quelques-unes des meilleures mêmes parmi les plus récentes. Il faut notamment citer de lui sa première brochure sur Tannhæuser, en 1853, et