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de l’homme, de la société humaine, de la religion, de l’art, qui peut se dégager de l’ensemble de l’œuvre de Wagner, cela s’appellera « l’idée de Bayreuth » ; et certes il serait d’un très haut intérêt de tâcher de résumer en un tableau succinct ce que peut être cette conception ! Mais le dessein seul en exigerait toute une longue étude, et c’est d’ailleurs en dehors des limites de notre sujet. Qu’il suffise de savoir que, tout naturellement, pour le groupe bayreuthien, cette « idée » a trouvé son expression artistique la plus complète et la plus parfaite jusqu’ici dans les drames de Wagner, et sa manifestation plastique la plus puissante dans la salle des fêtes de Bayreuth.

On sait que pour Wagner l’art n’était pas une chose distincte de la vie, mais au contraire l’essence même de la vie, le cœur de la vie, pourrait-on dire, où le sang afflue de tous côtés, et d’où le sang, vivifié, se répand à nouveau partout, pour tout animer d’une pulsation toujours plus régulière et d’un rythme plus large. Rien de plus différent, on le voit, de cette conception réaliste qui n’aperçoit dans l’art que le fait de construire une sorte de miroir de l’époque, lui montrant ses défauts et ses qualités, mais qui laisse à d’autres forces le soin d’agir sur l’homme. Pour Wagner, le vice fondamental de cette conception réaliste, c’est qu’elle ne se rend même pas compte qu’il est impossible de constituer ce miroir de telle sorte qu’il puisse donner une image vraie. Le miroir qu’on aura cru le plus fidèle ne réfléchira toujours qu’une apparence superficielle et trompeuse, alors que l’art doit tenter avant tout de révéler au contraire pleinement à l’homme sa propre nature humaine, et de lui faire sentir tout ce qu’il y a en elle de vie profonde et éternelle. Mais pour que n’importe quelle œuvre d’art véritable, — qu’elle soit due à Wagner ou à tout autre poète, — arrive à vivre d’une vie pleine et entière, il faut qu’il se trouve une société tout entière disposée à accepter cette conception de l’art, et capable d’en saisir le sens ; et de tous ceux qui travailleront par la littérature à mûrir cette conception et à la propager, le groupe bayreuthien dira qu’ils font de la « littérature wagnérienne ».

Bien plus, l’art, compris comme nous venons de le dire, n’étant ni un simple divertissement, ni un simple essai de restitution des contingences, se trouvera pouvoir et devoir toucher à tout ce qui intéresse l’esprit humain. Il sera donc ainsi appelé à exercer une influence sur tout, la philosophie, la science, la religion, la vie sociale ; et quiconque traitera de ces diverses questions en les considérant de ce point de vue, — qu’on peut d’ailleurs voir développé dans maint écrit de Wagner lui-même, — sera encore considéré comme faisant de la « littérature wagnérienne ». On a