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les « barbons » étaient toujours les détenteurs du pouvoir ; mais ils se disputaient les lambeaux d’une autorité que leurs discordes avaient déchirée. Sillery et les siens avaient fatigué la reine elle-même de leur convoitise insatiable et de leur opiniâtre nullité. Villeroy avait repris une certaine influence, dont il se servait pour détruire ceux qui l’avaient abattu et pour vendre chèrement une retraite prochaine qu’il sentait devoir être définitive. Le prince de Condé avait troublé et dévasté la France entière pour aboutir à la plate demande de soumission qu’il venait d’adresser au roi par l’intermédiaire d’un étranger, l’ambassadeur du roi Jacques. Dans cette paix de lassitude qui se préparait, chacun, comme dit Richelieu, « cherchait, par une émulation de vices, à qui prostituerait sa fidélité à plus haut prix. »

Princes, gentilshommes, soldats, gens de robe, Français, étrangers, catholiques, protestans, tout le monde était agité, sans qu’on pût distinguer nettement les causes de cette agitation. On sentait qu’il y avait du nouveau dans l’air. Chacun cherchait à deviner l’avenir, à prendre une position avantageuse, dans les camps qui se disputaient le succès. Mais les calculs étaient pleins d’erreurs, et les plus attentifs n’étaient pas sûrs de leurs déductions. En gros, cette foule houleuse se divise en deux courans : l’un, qui se porte vers les alliances espagnoles et la politique catholique, l’autre qui s’en éloigne. Mais des remous particuliers, des dérivations inattendues, des contre-courans cachés troublent sans cesse ce flot tumultueux. Les sentimens individuels, les passions privées, une étroite et ardente psychologie de cour excitent les esprits, échauffent les courages et brouillent les intrigues. Amours et haines, rivalités et jalousies, points d’honneur et vendettas, rages froides ou colères éclatantes, longs desseins raffinés, bravades imprudentes, ces impulsions, ces actes et ces gestes s’entre-croisent, se choquent, et l’on voit soudain, dans l’obscure mêlée, surgir, au bout d’un bras, l’éclair d’une épée, sous un panache une figure tragique, ou un sourire resplendir sur un visage de femme. Dans une cour où une reine commande, où la principale actrice des événemens est une favorite, où les Italiens ont apporté leur sens aigu du jeu des passions intérieures, dans ce milieu où des prêtres au geste doux, et des vieillards aux paroles ouatées, renouent sans cesse des fils rompus trop souvent par la brutalité des hommes d’action, il n’est pas étonnant que les femmes aient joué un grand rôle. On les admettait, à la suite de la reine mère, dans les réunions où les destinées de l’Etat se discutaient si futilement. On s’était étonné, d’abord, de leur présence. On remarquait que cela n’arrive pas dans les autres pays, « où, les femmes étant plus particulières et nourries seulement dans les choses de leur métier, elles ne peuvent pas prendre tant de