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Mais Villeroy lui-même reconnaissait, en 1615, qu’on avait épuisé les moyens dilatoires : « Jusqu’ici, disait-il, on avait gouverné par finance et par finesse, mais on ne savait ce qui arriverait maintenant qu’on était à bout de l’une et de l’autre. »

Quand les chefs en sont à ce point de découragement, il y a beau temps que les troupes se sont débandées. Elles erraient à l’aventure, sans trop savoir à qui se donner. L’opposition de la haute aristocratie, guidée par des sentimens étroitement égoïstes, embarrassait les ministres, mais n’était pas assez redoutable pour les contraindre ou les remplacer : « Les princes voudraient des réformes dans l’État, dit l’ambassadeur vénitien ; mais l’intérêt des ministres qui sont au pouvoir est de ne faire aucun changement, de peur de découvrir leur faiblesse et leur ruine. Aussi ils ne peuvent trouver aucun moyen d’accomplir une seule réforme ni de chercher à parer aux inconvéniens qu’on leur signale. »

C’est parmi cette impuissance et cette indignité réciproques du pouvoir et de l’opposition, qu’on vit se développer tout à coup la scandaleuse fortune politique des Concini. Elle avait son origine dans la faveur de Marie de Médicis, elle s’accrut de tout ce qui entravait le développement des forces normales du pays. Elle parut si puissante, à un certain moment, que des esprits vigoureux crurent pouvoir s’y attacher et se servir de ce point d’appui pour restaurer en France l’idée gouvernementale. Mais leur calcul était faux, et la chute profonde des favoris italiens entraîna la plupart de ceux qui avaient escompté leur faveur.

Jusqu’aux premiers mois de l’année 1615, Concini ne s’était guère appliqué sérieusement qu’à accroître sa fortune particulière. Mais elle était devenue peu à peu si considérable que, pour se maintenir ou pour grandir encore, elle devait dominer l’État. Le roi touchait à sa majorité. L’entourage de Marie de Médicis cherchait les moyens de prolonger le plus longtemps possible l’autorité effective de la reine mère. Chacun prenait ses positions en vue d’une situation que l’on considérait comme durable. Concini paraissait si solidement établi qu’on commençait à le respecter : « Son esprit, sa nourriture et plusieurs autres qualités — dit un homme qui n’est pourtant pas suspect de servilisme Rohan — le font juger digne de grandes faveurs et même font désirer qu’il se naturalise parmi nous et y établisse une grande maison, ce qui ne peut qu’être honorable à notre nation. » Le monde politique, où les espérances et les ambitions sont toujours on mouvement, a pour loi de passer outre au fait accompli. Le vieux Villeroy lui-même avait cru faire un coup de maître en mariant son petit-fils avec la fille du Florentin.

Elevé si haut, Concini voulait monter plus haut encore. Il