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ce que demande Soissons, et finir par céder, si on ne peut faire autrement. Mais, voici que ces alliances espagnoles, ces alliances si chères au cœur de Marie de Médicis, commencent à apparaître et à être glorifiées : « Vous avez encore ajouté à toutes ces amitiés et alliances anciennes celle du roy d’Espagne de laquelle, quand le feu roi décéda, il était peu assuré (voyez cet euphémisme ! ) et que vous avez exécutée avec tant de discrétion et de prudence qu’elle ne vous a rien coûté. »

Cependant cette politique de prodigalité et de déférence porte ses fruits. Les finances sont épuisées ; les grands sont insatiables. En mars 1614, le prince de Condé quitte la cour et lève des troupes. Il demande le château d’Amboise pour faire la paix. Villeroy reprend ses argumens et le ton baisse encore : « Il faut faire la paix à tout prix ; quels troubles prévus et imprévus n’amènerait pas la guerre ? » On touche au terme ; il ne faut rien compromettre et gagner un an, six mois du moins : « Madame, votre but est de conserver l’autorité du roi et le royaume en sa réputation et en son entier. Votre régence et le titre de mère du roi vous y obligent ; de quoi, Votre Majesté s’est heureusement acquittée depuis le décès du feu roi, et avait sujet d’espérer de pouvoir, en cette prospérité, achever la carrière de sa régence si elle n’eût été traversée de ces derniers mouvemens… » et plus loin : « Cependant Votre Majesté gagnera la fin de sa régence, pourra achever plus commodément les mariages d’Espagne et résoudre ceux d’Angleterre au temps et en la forme que vous jugerez plus à propos pour le bien du royaume et le contentement du roi qui sera lors entré en sa majorité. »

On sait, pourtant, quel était le véritable succès de cette politique au jour le jour. En ces quatre années, les ministres avaient vieilli de vingt ans ; entre leurs mains, toute l’administration était frappée d’une sorte de sénilité. La cour, conduite par ces « barbons » peu respectés, était toute turbulence, indiscipline, agitation tapageuse et stérile. « Il n’y avait à la cour, dit de Thou, ni sincérité, ni prudence, ni ordre ; il semblait que l’on y combattît à l’aveugle ; au lieu d’attaquer l’ennemi, nous portions les coups les plus funestes à nos amis. Ce n’était que dissimulation et fourberie. Tout était confusion et impuissance. » Personne n’étant plus digne du pouvoir, personne ne se croyait indigne de l’exercer : « Dans cette cour, dit l’ambassadeur vénitien Contarini, la face des choses change à tout moment, par une quantité de petits incidens qui se succèdent et qui tantôt flattent les espérances des uns, tantôt celles des autres. » Les ministres eux-mêmes ne se faisaient plus guère d’illusion : on se félicitait seulement d’avoir vécu.