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pour parler du « bonhomme », des expressions tendres et gaies qui font honneur à l’un et à l’autre : « Sire, voilà un ministre de notre connaissance, » lui dit l’ambassadeur d’Espagne quand il revint à la cour, la paix une fois signée. — « Oui, dit le roi, je puis le montrer à nos amis et à nos ennemis. »

Après avoir rappelé le haut mérite que les témoignages presque unanimes des contemporains attribuent aux ministres de Henri IV, il est impossible de ne pas reconnaître, qu’après la mort de ce prince, ces personnages vénérables, rendus à leur valeur propre, parurent diminués. C’est que, pour la conduite des grandes affaires, l’intelligence, le bon vouloir et l’expérience ne suffisent pas. Il faut, en outre, l’entrain, le courage, l’esprit de direction naturel et qui incline autour de lui les obéissances. Les hommes d’affaires consommés procèdent ordinairement par la douceur, par la patience, par un habile calcul des circonstances et des prévisions. Ils n’ont rien de cette vigueur qui violente parfois les volontés inférieures et qui précipite les événemens. Quarante ans de subordination sont un mauvais apprentissage du commandement. Ni les vieux soldats, ni les hommes de cabinet n’ont le coup d’aile brusque qui fond au but et ravit la victoire.

Ces ministres, que le contact de Henri IV avait animés, celui de Marie de Médicis les refroidit soudain. Rendre des comptes à un esprit médiocre est une servitude qui dégrade les plus nobles esprits. La véritable capacité doute d’elle-même, hésite, chancelle, et se perd, dans cette lutte obscure chaque jour renouvelée. C’est ainsi qu’on vit le mérite des illustres ministres de Henri IV se transformer, sous la régence, en une impuissante pusillanimité. Bientôt, ils n’eurent d’autre pensée que de se maintenir aux affaires en allant au-devant des désirs ou des caprices de la reine. Habiles à colorer cette docilité constante, qui devint la règle de leur politique, ils se firent eux-mêmes les théoriciens de leur propre faiblesse, et exposèrent, avec un ensemble de raisons d’opportunité ou de spécieux prétextes, un système politique nouveau qui fut, presque de tous points, le contre-pied de celui qu’avait adopté leur défunt maître.

Dès 1611, aux premiers mouvemens des grands et du parti huguenot, Villeroy écrit, de sa plus belle encre, un mémoire où les paroles énergiques abondent encore, mais qui laisse déjà entrevoir les prochaines capitulations. On est toujours un peu l’esclave de son passé, et ces anciens ligueurs avaient, présent à l’esprit, le spectre de la Ligue. « Ce qu’il faut mettre par-dessus tout, écrit Villeroy, c’est la conservation de l’ordre et de la paix publique, jusqu’au moment où le jeune roi sera en âge de prendre lui-même