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bien vrai que les Égyptiens n’y ont pas fait depuis une douzaine d’années acte de présence ; mais, si cela suffit pour leur faire perdre de vieux droits de possession, on comprend avec peine comment ces droits ont pu passer aux Anglais, qui n’y ont jamais mis les pieds.

Le but de l’Angleterre a été double. Elle a voulu d’abord, réalisant dans la mesure du possible la gigantesque conception de M. Cecil Rhodes, relier ses possessions du sud de l’Afrique à ce qu’elle appelle sa zone d’influence sur le Nil. Du Cap en Égypte, elle est chez elle : il n’y a qu’une intersection sans importance, le lac Tanganyka, dont les eaux sont, au surplus, neutralisées. Tel est le premier objet qu’elle a poursuivi. Le second a été de nous barrer la route du Haut-Nil, où nous pouvions et devions même arriver un jour prochain en remontant l’Oubanghi. Les agens de l’État du Congo nous avaient précédés, ils nous avaient montré la voie, nous n’avions qu’à les suivre. Qu’a fait l’Angleterre ? Elle a disposé des territoires qu’elle craignait de voir tomber entre nos mains. Elle a par un premier bail cédé au roi Léopold le bassin du Bar-el-Ghazal jusqu’à la rive gauche du Nil, et par un second, tout le long de cette rive jusqu’au lac Albert, une bande de territoire d’environ 150 kilomètres de large.

Il y a toutefois une différence entre ces deux baux. Le premier est fait pour le roi Léopold et pour ses successeurs ; l’Angleterre ne se réserve de le rompre que si, par le fait d’un changement de souveraineté, l’État du Congo venait à nous échoir un jour en vertu de notre droit de préemption. Le second est passé personnellement avec Léopold, et prendra fin à sa mort : nouveau motif pour les Belges de souhaiter une longue vie à leur roi. En ce qui nous concerne, cette distinction n’a pas d’importance. L’Angleterre a voulu constituer un État tampon entre nous et les provinces égyptiennes sur lesquelles elle a jeté son dévolu, et elle l’a constitué au moyen de l’État du Congo. Nous aurions pu nous servir des Belges contre elle ; elle s’est servie des Belges contre nous. Voilà le but évident et le résultat de la récente convention. C’est, dit-on, la première affaire dont notre nouveau gouvernement aura à s’occuper. C’est du moins à ce sujet qu’aura lieu sans doute la première interpellation à laquelle il devra répondre. Une interpellation sur le même objet s’est déjà produite à Londres, et nous craignons qu’elle ne soit d’une conclusion plus facile que celle qui est annoncée au Palais-Bourbon.


Depuis quelques jours, les nouvelles de Belgrade présentent l’état de la Serbie comme absolument révolutionnaire. Le roi Alexandre vient de faire un nouveau coup d’État ; il en avait déjà fait un l’année dernière, et tout porte à croire qu’il en fera d’autres avant l’année prochaine. Mais il serait injuste d’en attribuer toute la responsabilité au jeune