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parlementaire a paru dégagée des nuages qui l’obscurcissaient depuis quelques jours. Le ministère semblait consolidé, et pour longtemps.

C’était une illusion de le croire : quatre jours plus tard, le ministère tombait. Il est vrai de dire qu’il n’avait pas posé nettement la question de cabinet, et que la Chambre n’a peut-être pas très bien compris la portée de son vote. Peut-être aussi M. Casimir-Perier a-t-il abandonné la partie trop vite. Après tant de marques de confiance que la Chambre lui avait données, un vote de surprise ne l’atteignait pas. De quoi s’agissait-il, d’ailleurs ? Les syndicats des ouvriers des chemins de fer étaient sur le point de tenir à Paris leur Congrès annuel. Les compagnies donneraient-elles à leurs ouvriers les facilités nécessaires pour s’y rendre ? Le gouvernement a promis de le leur conseiller. Tout semblait fini, et M. Jonnart descendait déjà de la tribune lorsqu’on lui a demandé si, comme cela semblait logique, l’État accorderait à ses propres ouvriers les mêmes facilités. M. Jonnart a répondu que non, parce que les ouvriers de l’État, payés par le budget, étaient des espèces de fonctionnaires, et qu’on ne saurait tolérer, ni leur organisation en syndicats, ni leur participation à des Congrès qui ne sont d’ailleurs que des instrumens de guerre sociale. Soyons juste : la thèse de M. Jonnart est défendable, mais elle aurait mérité d’assez longs développemens. Il est difficile de faire comprendre à une Chambre qu’on trouve la loi sur les syndicats professionnels bonne pour les compagnies privées, ou contre ces compagnies, et mauvaise pour ou contre l’État, lorsque celui-ci se livre exactement à la même industrie que celles-là. Si on allait au fond des choses, il faudrait condamner l’intrusion de l’État dans un domaine qui n’est pas le sien. Pourquoi se fait-il entrepreneur de transports ? Est-ce là son affaire ? Est-ce là son rôle ? Mais, s’il se fait entrepreneur, pourquoi n’accepte-t-il pas le droit commun qu’il a lui-même imposé aux autres ? C’est, dit-on, que ce droit commun a les plus graves inconvéniens. Il est difficile de comprendre que ces inconvéniens soient moindres pour les Compagnies que pour l’État. Au surplus, on a toléré que les ouvriers des fabriques de l’État, fabriques de tabac et d’allumettes, se syndiquassent, et, si les ouvriers des chemins de fer sont des fonctionnaires ou peuvent leur être assimilés, n’en est-il pas de même de ceux-là ? Toutes ces objections, ces confusions, ces contradictions se sont présentées en foule à l’esprit de la Chambre, et y ont jeté un grand trouble. M. Jonnart a fait de courageux, mais de vains efforts pour ramener les esprits qui s’égaraient de plus en plus. Les socialistes exultaient ; les radicaux s’empressaient de mettre à profit une chance aussi heureuse pour eux ; le centre montrait de l’hésitation ; la droite royaliste et intransigeante n’en montrait aucune et conformait résolument son attitude à celle de l’extrême gauche. Deux ordres du jour ont été déposés, l’un par M. Millerand, l’autre par M. de Ramel : conjonction des