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la séparation, il n’est que temps d’interrompre ces joutes dangereuses : un vote de lassitude et de surprise est bientôt rendu, quand beaucoup d’esprits sont partagés entre le respect de la tradition, l’énervement d’une situation fausse, l’appel sourd de la fatalité. Et ce ne serait point la renonciation au budget des cultes qui ferait balancer des cœurs révoltés ; ceux mêmes qui regardent ce budget comme une dette sacrée diraient au besoin à ceux qui n’y veulent voir qu’un salaire : Pecunia nostra tecum sit !

Il n’est que temps d’interrompre ces débats acrimonieux pour ne pas encourir un discrédit total, puis la colère du pays. Que veut-elle, l’immense majorité de ce pays, en matière de politique religieuse ? Très peu de chose : la paix des habitudes. On croit le jeu inoffensif parce que, de l’aveu commun, on ne tourmente plus chez le grand nombre une foi, mais simplement une habitude. Une habitude qu’on dérange devient souvent aussi féroce qu’une passion. Dès que l’on sort des cercles politiques et des rédactions de gazettes, dès que l’on interroge la nation au foyer du villageois, à l’atelier, dans le salon de la maison bourgeoise, le sentiment du pays ne laisse aucun doute. La foi sincère chez quelques-uns, l’effet du raisonnement chez d’autres, l’accoutumance chez la plupart se combinent en un programme commun. Le Français de petite et moyenne condition ne veut pas de ce qu’il appelle « le gouvernement des curés » ; il s’est cabré après le Seize-Mai comme un cheval ombrageux, il a d’abord gardé de ce temps une vive défiance, aujourd’hui calmée. Ce Français veut une église qui fasse honneur à sa paroisse : il veut y être baptisé, marié, enterré par des prêtres qui aient une situation convenable et respectée ; il voudrait enfin faire élever ses enfans à sa guise, par les maîtres dont il a l’habitude et dont la doctrine lui apparaît comme une sorte de gendarmerie morale, comme une garantie indispensable pour les fillettes, très utile pour les garçonnets. — Voilà, sans apprêts de haute métaphysique, la philosophie têtue et terre à terre que l’on tire de neuf électeurs sur dix. Est-il donc si difficile de servir ces besoins ? Et demande-t-on autre chose à un gouvernement ?

Le tort de nos gouvernemens a été de s’imaginer qu’ils avaient mission pour pétrir les âmes et les diriger dans une voie quelconque. Les uns ont voulu jouer à l’empereur Constantin, les autres à l’empereur Julien. La prétention n’est pas seulement abusive, elle frise le ridicule chez les commis éphémères d’une démocratie. Sans leur manquer, il est permis de les rappeler à la modestie de leur courte et précaire magistrature. Que de libres travailleurs, savans, écrivains, penseurs, s’efforcent dans leur cabinet de détruire, de réformer ou de fonder une doctrine