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Nous n’avons jamais, quant à nous, on le sait, cessé de l’annoncer, et de la désirer, tout en répétant, d’ailleurs, que ce ne devait point être une révolution, mais une transformation ; car si un art qui se borne à l’exacte copie des choses est un art incomplet, sans action et sans charme, un art qui n’aurait point à son service la vraisemblance nécessaire des apparences et se contenterait d’intentions intellectuelles et morales serait bien plus encore un art mort-né et impuissant.

Est-ce dans l’intelligence, plus attentive et plus libre, des chefs-d’œuvre de l’antiquité, du moyen âge et de la renaissance ; est-ce dans le commerce, plus fréquent et plus assidu, des littératures ancienne et moderne ; est-ce seulement dans l’interprétation, plus personnelle et plus émue, des phénomènes naturels, que les peintres trouveront les élémens d’une rénovation dont ils ont le désir et l’espérance ? Un peu partout, probablement, suivant le tempérament de chacun et suivant ses habitudes d’esprit. Prétendre interdire telle ou telle direction ou prétendre indiquer une voie unique dans l’état compliqué d’une civilisation formée de tant d’apports divers nous semble une pensée chimérique. N’y aura-t-il pas toujours chez nous des chrétiens et des païens, des mondains et des simples, des sensuels et des mystiques, des lettrés et des ignorans, et chacun ne demandera-t-il pas toujours aux artistes de lui donner quelque chose qui corresponde à ses goûts ? Le pêle-mêle des Salons n’est qu’un reflet du pêle-mêle social. Tout au plus verra-t-on de temps en temps, comme on l’a déjà vu, la mode osciller d’un côté ou de l’autre, sans arriver heureusement à établir sa domination absolue. Delacroix n’a pas tué Ingres, Corot vit près de Courbet, Manet n’a pas enterré Meissonier. Qui songe à s’en plaindre ?

C’est l’art décoratif proprement dit, l’art de peindre des murailles, des voûtes, des plafonds qui se trouve, à cet égard, dans la situation la plus embarrassante. On avait cru simplifier la chose en lui conseillant de s’en tenir à des qualités purement négatives. La décoloration des teintes, l’atténuation des formes, la suppression du mouvement, ont paru d’excellens moyens pour faciliter des unions de convenance entre la peinture et l’architecture. Ce prudent système, entre les mains d’un artiste supérieur, M. Puvis de Chavannes, — à la Sorbonne, à Amiens et ailleurs, — a produit tout ce qu’il pouvait donner ; on a vite compris qu’il serait insuffisant dans des milieux plus colorés ou plus agités qu’une salle de cours ou un escalier de musée. Tous les imitateurs de M. Puvis de Chavannes se sont chargés d’en faire la preuve. On peut même craindre, en regardant le dernier ensemble du maître au Champ