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de compositions, comme de l’impuissance générale à renouveler le vieux fonds des sujets, sacrés et profanes, toujours les mêmes, toujours rapetassés et ressassés, jusqu’à l’énervement, depuis quatre siècles. La seconde obligation que contracte le peintre, en tant que peintre, ouvrier, homme de métier, c’est de tirer de ce sujet tout le parti matériel qu’il comporte, soit par l’accentuation ou la souplesse des formes, soit par l’accord éclatant ou délicat des colorations, soit par l’intensité ou les finesses de la lumière. Les grands maîtres, en de rares chefs-d’œuvre, nous donnent tout à la fois ; on ne peut exiger autant de tout le monde ; ce qu’on peut, néanmoins, demander au plus humble artiste, c’est d’aller jusqu’au bout dans la voie choisie, de nous dire sérieusement, sincèrement, entièrement, même dans une esquisse, même dans une étude, tout ce qu’il a senti, vu, et voulu à ce propos.

On doit donc savoir aujourd’hui grand gré aux artistes qui, parmi le désarroi des volontés flottantes et lâches, affirment avec énergie leurs convictions, quelles qu’elles soient, convictions d’ouvriers, de chercheurs, de poètes ou de penseurs, soit par quelque travail de longue haleine comme la suite des compositions évangéliques de M. James Tissot (Champ de Mars), soit par quelque morceau de tenue solide ou même simplement de bravoure énergique, comme le Triomphe de l’Art, par M. Bonnat, les Victimes du Devoir, par M. Détaille, la Main-chaude, par M. Roybet (Champs-Elysées), soit même par quelque simple étude ou impression, mais approfondie et caressée, de figure ou de nature, tels que la Lavandara de M. Hébert et la Soirée d’automne, de M. Harpignies (Champs-Elysées), le Christ à Gethsémani et la Marchande de Cierges de M. Dagnan-Bouveret (Champ de Mars). De tels morceaux, même restreints, valent mieux pour la renommée de l’école française et pour la satisfaction des visiteurs que des fourmilières de pochades tapotées à l’aventure, ou des lieues carrées de toiles grises, vaguement teintées par quelques apparitions confuses. Ces ouvrages ne sont pas les seuls qui commandent l’attention, et nous devrons, à leur entour, signaler bien d’autres tentatives estimables ; mais, comme il se trouve que ces ouvrages appartiennent aux diverses catégories de peinture qu’on regarde, ce seront autant d’occasions pour nous d’examiner où en sont et ce que peuvent devenir aujourd’hui, entre les mains des peintres, les traditions chrétiennes et païennes, la poésie de l’histoire et celle de la vie contemporaine, l’intelligence de la figure humaine et celle de la nature extérieure.