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employé à l’aurification des dents atteignait six livres. L’enseignement, très complet, constitue une faculté véritable, qui ne comprend pas moins de sept chaires distinctes. Une foule d’étrangers viennent de l’Europe entière et des Indes prendre leurs grades à Philadelphie. Les Américains sont les premiers dentistes du monde.

Peut-on parler de l’instruction supérieure en Amérique sans rappeler avec quelle ardeur les femmes s’empressent d’y participer ? Le mouvement ne se ralentit pas, au contraire. Chaque jour voit augmenter le nombre de celles qui apprennent les mathématiques, la physique, le droit, la médecine, le latin ou même le grec. Les programmes des études et des examens sont d’ailleurs identiques, en général, pour les deux sexes, soit dans le système de la coéducation, très pratiqué, soit dans les cours spéciaux. Avec le vif désir de s’instruire, les jeunes étudiantes apportent à cet enseignement élevé le ferme propos de conquérir l’égalité sociale, dont l’égalité scolaire est le prélude. Mais leur grâce native subsiste. Il s’y ajoute des qualités solides et un fonds de connaissances variées ; aussi la conversation des femmes américaines fait-elle le charme de la société aux États-Unis.

Un savant docteur de Boston signale quelques ombres au tableau. Statistiques en main, il prétend prouver que le chiffre de la natalité baisse à mesure que monte le niveau de l’instruction féminine ; ses craintes patriotiques lui font même entrevoir le moment où la race finira dans une « apothéose intellectuelle. » Le pronostic est-il sérieux ? Si la jeune Amérique est déjà atteinte des maux dont souffrent les peuples vieillis, son robuste tempérament et ses ressources exceptionnelles lui assurent des conditions de résistance bien supérieures.

L’exposition de Chicago a montré avec quelle vigueur toutes les branches de l’activité humaine se développent aux États-Unis. Certes la science n’y atteint pas encore des sommets comparables à ceux où s’élève actuellement la fortune des capitalistes ; le dollar garde l’avance, mais la science marche d’un bon pas. Le mouvement scientifique, dont nous n’avons pu donner ici qu’une idée sommaire, ne se concentre plus dans les anciens États de l’Est, qui sont comme une Europe transocéanique, il s’étend aux États les plus neufs. Les Américains ont compris que la haute culture intellectuelle n’est pas seulement une question de luxe élégant ou d’amour-propre national ; la prospérité et l’avenir même du pays en dépendent ; un simple regard jeté sur les diverses nations des deux mondes suffit pour le constater.


JULES VIOLLE.