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photographiques de la lune. Et l’observatoire Yerkes, à Chicago, dont le jeune directeur, M. Georges Haie, déjà renommé par ses travaux, disposera du puissant télescope qui figurait à l’exposition et saura le faire servir au progrès de la science. Et les observatoires d’Albany, d’Allegheny, d’Ann-Arbor, de Madison, de New-Haven, de Denver, de vingt autres villes, dispersées sur la surface entière du territoire. L’Amérique apparaît vraiment comme la terre d’élection pour l’astronomie ; le drapeau semé d’étoiles est un emblème significatif.

Les investigations américaines ont exploré surtout le domaine de l’astro-physique, où Pouillet avait laissé une indication précieuse par ses mesures de la chaleur solaire. M. Langley, alors qu’il dirigeait l’observatoire d’Allegheny, se proposa d’estimer la chaleur rayonnée par une source calorifique quelconque, et à cet effet il imagina le bolomètre, appareil d’une délicatesse prodigieuse. Tout le monde sait que la résistance offerte par un fil métallique au passage des courans électriques dépend de la température du métal ; on sait aussi que cette résistance peut s’évaluer avec précision à l’aide d’une sorte de balance ou, comme disent les électriciens, d’un pont auquel est adapté un galvanomètre d’une sensibilité suffisante. Un fil métallique très fin, intercalé dans un pont convenablement agencé, constituera donc le plus ténu et le plus sensible des thermomètres. C’est sur ce principe que le bolomètre a été construit, de façon à déceler dans la température du fil des variations d’un millionième de degré.

L’inventeur a utilisé son précieux instrument pour élucider plusieurs questions qui intéressent la physique céleste. En pareille matière, l’avantage des observations à grandes hauteurs est incontestable : je l’avais montré, voilà quelque vingt ans déjà, par des mesures actinométriques effectuées au sommet du Mont-Blanc. M. Langley a choisi comme poste le mont Whitney, situé en Californie à une altitude presque pareille, et les expériences qu’il y a faites pour évaluer la chaleur du soleil contribueront à résoudre ce difficile problème. On lui doit aussi une remarquable étude du spectre solaire, jusque dans les régions extrêmes de l’infra-rouge, où notre œil ne saisit plus aucune lumière, bien que des vibrations y subsistent, trahies par leur chaleur seule. L’emploi du bolomètre permettait au savant américain de pousser les recherches beaucoup plus loin que ne l’avaient pu les précédens expérimentateurs à l’aide des anciens thermomètres : les vibrations atteintes par le nouveau procédé ont une longueur d’onde supérieure à quarante-cinq fois celle du violet ; elles se trouvent donc placées cinq octaves au-dessous des vibrations perçues par l’œil humain,