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que le chancelier de l’empire allemand lui eût peut-être dit de l’alliance italienne plus de bien qu’il n’en disait à l’Italie elle-même, M. de Kalnoky n’était pas, on le savait à la Consulta, un de ces fervens adorateurs qui ne songent qu’à abréger le temps des fiançailles et s’enfuient lorsque les familles commencent à parler du contrat.

Sur l’ordre de M. Mancini qui maintenant rongeait le frein, piqué de tous les éperons, par M. de Bismarck, par la Chambre, par la presse, talonné par les événemens ou les prévisions d’événemens (Gambetta avait pris, en France, la présidence du Conseil), délivré de son dernier scrupule et de sa dernière illusion (la France allait organiser à demeure le protectorat en Tunisie), sur des instructions formelles de son ministre, le comte de Robilant avait tâté le terrain ; mais il l’avait trouvé mouvant et ne s’était pas aventuré. Lui-même était un peu rétif. Manci ni le pique à son tour. M. de Rohilant discute : Ce n’est pas le moment propice. La différence absolue, radicale, de la politique autrichienne et de la politique italienne exclut, selon lui, toute idée d’accord intime. Il faut s’armer et ne pas prétendre à « certaines camaraderies qui, de quelque temps encore, seraient repoussées, au détriment de la dignité italienne ». Le mieux est de persévérer, en l’accentuant un peu, dans la ligne suivie jusqu’ici : La paix avec tous, les sympathies pour l’Autriche et l’Allemagne. Pas de précipitation, patience ! En cas de danger sérieux, ce serait l’Allemagne et l’Autriche qui, « malgré tout, » rechercheraient l’amitié de l’Italie. M. de Robilant sous-entendait qu’on y gagnerait alors et qu’au lieu de subir les conditions, on les ferait[1].

C’était le bon sens et la vérité mêmes, et cependant l’Italie, excitée, affolée par un fracas — imaginaire, mais peu importe — de sabres et de baïonnettes, courait, traînant son gouvernement après elle. M. de Robilant, à Vienne, croisait les bras pour l’arrêter. Il voulait, au moins, attendre et saisir une occasion, Depuis la fin de décembre, il avait recules instructions de M. Mancini, l’ordre de faire des ouvertures à l’An friche. Un coup de sonde, où il avait tout de suite touché le fond, l’avait décidé à remettre à plus tard ; il endormait, dans ses dépêches, la fougue de M. Mancini. L’occasion attendue se présenterait.

Peu à peu, le terrain se raffermissait pour l’Italie. L’Autriche était embarrassée en Bosnie, dans l’Herzégovine ; inquiète même, à cause de l’agitation panslaviste. L’alliance italienne acquérait pour elle de jour en jour plus de prix. Là encore, M. de Robilant ne se trompait pas. Pendant, deux grands mois, il se tut, quoi que M. Mancini pût dire. Enfin, le 19 février[2], comme il était allé voir le comte Kalnoky, le ministre autrichien lui demanda à

  1. Chiala, p. 274.
  2. Chiala, p. 279.