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Roi; mais le cœur n’avait pas quitté M. le Prince. Son énergie dépassa tout ce que la France pouvait espérer. Après quatre mois de siège[1], sur l’ordre écrit du Roi, il remit les ruines de Grave et en sortit avec ses troupes, drapeaux, armes, bagages, emmenant, avec ses pièces de campagne, vingt-quatre gros canons de bronze aux armes royales de France[2].

Le siège de Grave avait coûté 16 000 hommes aux alliés[3]. La garnison française, de 4 000 hommes, comptait 2748 tués ou blessés, dont 183 officiers. On ne peut pas imaginer une défense plus glorieuse.

Nous ne pouvions passer sous silence le fait d’armes de Chamilly, qui couronne et complète l’avantage des Français et l’échec du prince d’Orange. Par ses vanteries de la première heure, celui-ci avait diminué le mérite de sa ténacité et donné prise aux quolibets; il ne fut pas épargné par les sarcasmes de ses amis. Conduit prisonnier à Reims et traité dans une des grandes maisons de la ville, le comte de Staremberg[4] se levait au dessert : « Je bois à Guillaume de Nassau ; il est homme de parole ; il m’avait promis de me faire boire du vin de Champagne en Champagne, il a tenu sa promesse ; seulement il ne m’avait pas tout dit. » En se montrant plus sévère pour le prince d’Orange, l’opinion revenait lentement, incomplètement au prince de Condé. On avait peine à le suivre, lorsque, sans conquêtes, sans batailles, il remplissait si heureusement la partie ardue de sa tâche, et, quand il dut combattre, le chiffre effrayant des pertes voila l’importance du service rendu : les tentatives des coalisés déjouées, la France sauvée d’une imminente et redoutable invasion[5]. L’attention des contemporains, celle de la postérité surtout, s’attache à une autre partie, non moins sérieuse, engagée dans la vallée du Rhin; conduite par Turenne avec une dextérité et une audace sans égales, elle devait se terminer avec le même bonheur et avec plus d’éclat encore.


H. D’ORLEANS.

  1. Investissement de Grave, 28 juin 1674; capitulation, 29 octobre.
  2. L’ennemi ne put même pas reconquérir les otages précédemment livrés par les villes de Hollande. Chamilly était parvenu à les expédier à Maestricht et à les y laisser sous la garde vigilante de d’Estrades.
  3. « Tant tués, estropiés que déserteurs. » (Relation du siège de Grave, A. C.)
  4. D’autres disent le duc de Holstein.
  5. L’armée des coalisés (environ soixante-dix mille hommes) était la plus nombreuse qui, dans les temps modernes, se fût encore avancée vers les frontières de France.