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colonnes mobiles dans certaines places. Il lui suffit de remonter la Sambre et de prendre position pour forcer les ennemis à renoncer à tous leurs beaux projets d’invasion.

Au moins leur faut-il une conquête, si petite qu’elle soit. Ils jettent leur dévolu sur Audenarde, place de second rang, mais dont la reprise leur tenait à cœur et qu’ils voulaient restituer avec quelque fracas au gouvernement des Pays-Bas pour donner une certaine couleur à la fin de leur triste campagne. Soudain M. le Prince apparaît avec son armée. De Lille, de Tournay, les renforts lui arrivent ; de toutes parts on ne voit que Français. Le siège est levé en grande hâte. Sans la présence d’esprit du vieux comte de Souches, objet des sarcasmes de ses collègues, Dieu sait ce qui serait advenu.

La retraite d’Audenarde jeta la « consternation » dans les Pays-Bas. Le spectacle de cette grande armée soi-disant victorieuse, qui s’éclipse à l’approche de M. le Prince et disparaît sans combat au milieu du brouillard, frappe les esprits, que la bataille de Seneffe, mal connue, mal comprise, avait laissés incertains. C’était le corollaire et la preuve de la victoire du 11 août. Ainsi se trouvaient mises à néant les vanteries des généraux alliés. Ceux-ci se séparent piteusement ; la violence de leurs récriminations témoigne de leur état d’âme.

Le 25 septembre, le prince d’Orange, rendant aux États un compte partial et évidemment inexact des opérations devant Audenarde, adressait aux « nobles et puissans seigneurs » une dénonciation formelle contre le comte de Souches[1], imputant au mauvais vouloir constant et à la « conduite surprenante » du général en chef de l’armée impériale le résultat négatif de cette campagne que les alliés avaient entreprise avec de si hautes espérances. Sans se prononcer sur la valeur de ces accusations, le cabinet de Vienne en accepta les conséquences : M. de Souches fut écarté du commandement. Soldat de fortune, il faisait son métier depuis quarante ans. Français, il avait toujours servi l’Empereur, parfois sur les côtes de la Baltique, le plus souvent sur les bords du Danube ou dans les défilés des Carpathes, et il avait beaucoup emprunté aux habitudes des Turcs ou des princes à moitié sauvages qui vivaient aux confins du monde chrétien. Aussi, sur ses vieux jours, il en prenait fort à son aise. Très indulgent pour ses soldats, tolérant tous leurs désordres, même leurs crimes, pourvu qu’ils fussent présens et solides au feu, il était sans merci pour les autres créatures humaines. Son insouciance n’avait pas d’égale. Le lecteur a été témoin de ses lenteurs, de ses tergiversations, souvent si étranges qu’elles semblent calculées. N’est-on

  1. Archives générales du royaume des Pays-Bas. — Lettres secrètes.