Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la bataille et non moins divisés que les libéraux : les deux élémens hétérogènes qui composent ce parti, les aristocrates et les démocrates, se tournent le dos aujourd’hui. La division est d’ailleurs partout ; l’individualisme s’accuse chaque jour davantage ; chacun va de son côté pour mieux montrer son indépendance, et il n’y a plus actuellement, en Hollande, un seul parti qui marche à rangs serrés derrière un chef reconnu et accepté. C’est la caractéristique de la situation. M. Tak, placé dans la nécessité de se défendre de tous les côtés à la fois, a eu recours, comme un homme qui se sent perdu, à tous les procédés que l’on croit être des habiletés électorales, et il en a été la première victime.

Il n’avait plus qu’à donner sa démission, et c’est ce qu’il a fait, laissant l’impression d’un homme plein de talent et de vigueur, mais fourvoyé dans une mauvaise cause. La Reine régente a chargé M. Roell de former un autre cabinet : il y a réussi. M. Roell n’a pas encore été ministre : toutefois, il n’est pas absolument un homme nouveau. Il a été autrefois membre de la première Chambre et membre de la commission chargée de préparer la révision de la constitution. Il était depuis quelque temps membre de la seconde Chambre, où il a été réélu aux élections dernières. De plus, il fait partie de la commission de tutelle de la jeune Reine. Comme opinion politique, M. Roell appartient au groupe des libéraux modérés, ce groupe si divisé qu’il s’agit aujourd’hui de réorganiser. Il s’est assuré le concours d’un ancien radical, M. Van Houten, devenu lui aussi un libéral modéré et qu’on dit être un homme de grand mérite. M. Roell a pris le ministère des Affaires étrangères, et M. Van Houten celui de l’Intérieur. Leur tâche sera difficile. Les deux grandes fractions de la nouvelle Chambre sont les libéraux et les catholiques. Les premiers, bien qu’hostiles au projet de M. Tak, qu’ils regardaient comme inconstitutionnel, veulent pourtant une extension plus ou moins considérable du droit de vote ; les seconds n’en veulent aucune. Les libéraux sont les plus nombreux ; mais ils n’auront une majorité certaine qu’à la condition d’abord de rétablir entre eux l’union que les derniers événemens ont détruite, et ensuite de gagner l’appui de quelques membres des autres partis, dont la coalition pourrait les mettre en échec. C’est dans ces conditions seulement qu’une réforme a chance d’aboutir.

Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.